Le grand patron d’Air Canada, Michael Rousseau, a déclaré devant les caméras qu’il avait pu vivre en anglais à Montréal pendant 14 années. Ce qui, selon le très suffisant boss, est une bonne chose pour la métropole. Comme si cette déclaration n’était pas assez insultante, il a ajouté qu’apprendre la langue française n’était pas vraiment sa priorité. Une déclaration qui a fait couler beaucoup d’encre et a suscité une levée de boucliers dans les milieux politiques. Les francophones sont furieux contre Michael. Pourtant, quand on y réfléchit un peu plus, Michael n’a fait qu’exprimer ce que tout le monde savait, mais ne voulait pas vraiment entendre.

Tous les gens qui connaissent ou vivent dans le Grand Montréal savent que l’érosion du français s’y accélère à vitesse grand V et que le poids démographique des francophones y a énormément diminué. Nous savons tous que dans quelques années, pour se faire élire à Montréal, il faudra jurer fidélité au multiculturalisme canadien et chanter le caractère bilingue, voire postnational de la métropole. Telle est la froide réalité à laquelle nous sommes confrontés, et qui sera impossible à endiguer, car aucun parti politique n’a la possibilité ou le courage nécessaire pour renverser la tendance. Bref, Michael Rousseau n’a fait malheureusement qu’exprimer ce que beaucoup d’anglophones pensent et même défendent désormais publiquement. La preuve, la campagne électorale municipale de Montréal s’est enrichie d’un troisième joueur, Balarama Holness, qui propose de régler ce qu’il considère comme une oppression des non-francophones en « séparant » la métropole du reste du Québec. Une position qui trouve beaucoup d’adeptes et risque même de brouiller les cartes de ce rendez-vous électoral.

Si hier la langue du Roi-Soleil se couchait seulement à l’ouest de Montréal, aujourd’hui, elle peut somnoler aux quatre coins de la métropole. C’est ce que nous a dit Michael Rousseau, qui vit à Saint-Lambert depuis si longtemps sans pouvoir formuler de simples salutations en langue française.

Maintenant, pourquoi évoquer Dominique Anglade dans mon titre ? J’y arrive. Vous souvenez-vous de cette période d’errance du Parti québécois (PQ) qui l’a mené au bord du précipice où il se trouve ? Je parle de ce passé récent ou l’option souverainiste était sur le bord d’être radioactive. On évitait d’en parler dans l’espoir de séduire plus large et d’espérer reprendre le pouvoir, qui était presque devenu une propriété privée du Parti libéral du Québec (PLQ). Ainsi, au début de sa campagne électorale contre Philippe Couillard, Pauline Marois a étouffé si fort le mot « référendum » qu’on ne l’entendait plus respirer dans ses troupes. Du moins jusqu’à ce que Pierre Karl Péladeau, qu’on ne voyait pas venir, exhibe son puissant poing qui voulait un pays. On se souviendra à quel point sa déclaration musclée allait faire déraper la campagne péquiste. Depuis, convaincu qu’il avait perdu cette élection en grande partie à cause du mot tabou, le PQ, qui cherchait à ratisser plus large, choisit de s’éloigner encore plus du discours référendaire décomplexé. C’était, semble-t-il, le mieux à faire pour ramener dans leur giron les indépendantistes hésitants et autres nationalistes qui préfèrent défendre l’exception québécoise à l’intérieur du Canada. Tasser ou taire l’option référendaire des priorités devenait le seul chemin de passage pour espérer reprendre le pouvoir.

Rappelons que, dans ces temps pas lointains, fort de son indéfectible base électorale de près de 30 %, le Parti libéral n’avait qu’à agiter la frousse du référendum pour rafler la mise et garder le pouvoir. Pendant que Couillard célébrait, le Parti québécois sombrait dans cette errance identitaire et la Coalition avenir Québec exhibait une proposition qui avait au moins le mérite d’annoncer clairement que l’indépendance du Québec ne faisait pas partie de son programme. On connaît la suite.

Pourquoi cette longue introduction pour arriver à Dominique Anglade ? Aussi bizarre que cela puisse paraître, cette tribulation qui a contribué à l’érosion du Parti québécois semble se jouer au Parti libéral. En cause, désireuse de ratisser plus large que le vote anglophone et allophone de la grande métropole qui est très majoritairement acquis à son parti, Dominique fait de l’œil de façon plus assumée aux francophones dits de souche. Ce qui est une entreprise noble. Du moins, à condition de ne pas racoler de façon trop ostentatoire, car l’histoire du Québec traîne une certaine réalité qu’on ne peut ignorer en la matière. Il est très difficile de nos jours de plaire à la fois aux votes nationalistes et à ceux qui pensent comme Michael Rousseau et Balarama Holness.

Autrement dit, pour s’attirer la faveur d’un certain vote francophone, il faut se commettre sur des enjeux qui dérangeront l’homéostasie d’une bonne partie des anglophones et allophones.

Or, depuis son élection à la tête du PLQ, ce désir de reconnecter avec les francophones pousse Anglade à adopter des positions qui font certainement grincer des dents dans l’Ouest-de-l’Île. Je pense ici à sa pétition lancée en octobre 2020 « pour mettre fin à la dérive du politiquement correct » dans la foulée de l’affaire Verushka Lieutenant-Duval ; ses récentes remontrances à l’endroit du député libéral Gregory Kelley sur le débat autour du racisme systémique ; sa propension à parler d’interculturalité et à plaider pour une défense plus robuste de la langue française. Toutes ces positions, si nobles soient-elles, peuvent irriter sérieusement une bonne partie de cet électorat traditionnellement favorable au Parti libéral.

Avec la très grande popularité de Legault, pour espérer convaincre un nombre significatif de francophones, il faudrait que Dominique Anglade se tasse jusqu’à l’inconfortable position qui l’avait justement poussée à s’éloigner des caquistes et à passer dans les rangs du PLQ. Dominique est une fille brillante et on ne peut pas douter de son amour pour le Québec, mais est-ce que le jeu en vaut politiquement la chandelle ?

Le pari me semble très risqué pour une autre raison. Imaginez si une grande partie des anglophones et des allophones ne se sentant plus représentés à Québec décidaient de fonder un parti politique. Avec l’arrivée d’un équivalent de Balarama Holness en politique nationale québécoise, le ciel s’assombrirait sérieusement pour le PLQ. Tout comme le Parti québécois est indissociable de son option souverainiste, le Parti libéral d’aujourd’hui est « attaché » à une option multiculturaliste qu’il ne peut pas cacher sous le tapis ou réduire au silence sans en payer le prix. Seule une indéfectible adhésion à l’idéologie multiculturaliste canadienne permettra à Dominique de garder sa base électorale de la métropole. Entre préserver cet électorat et défendre sérieusement l’exception québécoise, il me semble qu’il faudra choisir. Dans cette perte d’engouement qui a mené le PLQ à 20 % des intentions de vote, il y a certainement la colère de beaucoup de gens qui pensent comme les Michael Rousseau et Balarama Holness de ce monde.

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