L’échec retentissant des efforts d’Hydro-Québec et de ses partenaires américains afin de gagner un référendum demandé par la population du Maine dans le but de mettre un frein au projet de ligne de transmission électrique vers le Massachusetts ne me surprend pas. Par contre, la chose est catastrophique pour la diplomatie québécoise en Nouvelle-Angleterre.

Imaginez, des citoyens se sont levés, ils ont recueilli 80 000 signatures pour qu’un référendum ait lieu. Ces mêmes citoyens ont aussi réussi avant le jour du vote à faire entrer plus de 85 000 bulletins de vote par anticipation. Certes, les opposants ont eu l’appui de lobbys importants, mais Hydro-Québec aussi avait ce genre de lobby important.

Comme dans le cas du New Hampshire avec le rejet du projet Northern Pass, c’est le peuple qui a parlé, et ce, malgré le fait que le consortium d’Hydro-Québec avec ses partenaires américains disposait de toutes les approbations règlementaires et politiques, même ce fameux permis présidentiel. Qu’à cela ne tienne, ce sont les citoyens ordinaires qui ont eu le dessus. Et dans le cas du Maine, les Mainers ont fait mouche eux aussi dans leur tentative de mettre à genoux Hydro-Québec, tout comme les citoyens du Northern Kingdom du New Hampshire.

Ainsi donc, si c’est deux en deux pour « We The People » en Nouvelle-Angleterre, où est le problème de fond ?

Vous me direz que la sauce a pris dans l’État de New York et je vous donnerai raison. Mais New York n’est pas la Nouvelle-Angleterre et on est loin, très loin, des mouvements grassroots qui existent dans cette région et qui, comme nous le rappelle l’histoire, font partie des fondements des États-Unis d’Amérique. L’État de New York, c’est plus de 22 millions d’habitants. Le territoire de cet État est énorme alors que plus de 10 heures de route séparent Buffalo à l’ouest de Montauk à l’Est, tout au bout de la péninsule de Long Island. L’État de New York est morcelé, sa population a toujours été moins facile à mobiliser pour des enjeux locaux qui ne réussissent souvent pas à créer des levées de boucliers assez fortes pour créer une vague.

PHOTO BRIAN SNYDER, REUTERS

Opposition au Clean Energy Corridor avec les moyens du bord, à Moscow, dans le Maine

Diplomatie 101

Selon moi, la démarche grassroots a manqué du côté des protagonistes souhaitant l’acceptation du projet et ce n’est pas la faute d’Hydro-Québec seule. Car même avec l’appui de la gouverneure Janet Mills et de l’ancien gouverneur franco-américain Paul Lepage (qui se représente d’ailleurs en 2022), force est d’admettre qu’on s’est peut-être un peu trop fié aux rencontres en haut lieu et que l’on a oublié le vrai monde, celui qui vit là-bas, quelque part entre Jackman et Lewiston, dans le Maine.

A-t-on vraiment pris le temps de travailler avec les locals, comme on dit en anglais, et surtout, est-ce qu’on a pris le temps de faire toutes les visites nécessaires dans toutes les petites assemblées de village un peu partout dans le nord du Maine ? Peut-être pas.

Les grandes rencontres mondaines de dirigeants et de haut placés n’ont jamais eu raison de la puissance des citoyens aux États-Unis, car ici, le citoyen est roi, même aussi petit et sans voix qu’il puisse paraître. La diplomatie québécoise doit comprendre que pour réussir en Nouvelle-Angleterre, il faut aller prendre un café chez Rachel’s à West Forks, dans le Maine, autant qu’au Littleton Diner, au New Hampshire. Il faut jaser avec les locals, y développer des liens.

Le contact humain

Mon métier m’amène depuis plus de 30 ans en Nouvelle-Angleterre alors que j’accompagne des PME québécoises qui veulent pénétrer le marché américain. Le secret de « ma sauce », ce sont les relations personnelles, ces liens privilégiés et nourris à grands coups de 50 000 km par année à travers les villes et villages de la Nouvelle-Angleterre. Québec doit refaire ses devoirs, car, ultimement, ce qui manque dans notre représentation politique, c’est la démarche grassroots, le contact humain, pas juste avec les politiciens élus et les grands entrepreneurs, mais avec le vrai monde. Je le sais puisqu’on me le dit à chacun de mes déplacements là-bas, personne ne voit la diplomatie politique québécoise dans les petits villages en dehors des grandes capitales politiques et économiques que sont Portland, Concord, Manchester, Burlington, Providence, Hartford ou Boston.

Passer le message aux locals est fondamental. Vrai aussi que vendre Hydro-Québec là-bas n’est pas simple quand on comprend que les pressions politiques qui veulent que les États-Unis soient constamment autosuffisants en énergie produite aux États-Unis pour assurer leur sécurité sont un élément fondamental. Le gaz naturel (et le propane) coule à flots dans tous les États de la Nouvelle-Angleterre.

On constate ainsi en jasant avec le vrai monde que notre hydroélectricité ne réussit pas encore à s’imposer comme une énergie verte dans la tête des gens.

Force est d’admettre ici et à la défense d’Hydro-Québec que de grandes campagnes de désinformation ont été mises en place par ses opposants. Mais au bout du compte, c’est notre job de bien passer notre message. Qui plus est, quand on réalise que plus de 70 % des foyers en Nouvelle-Angleterre fonctionnent au gaz pour la sécheuse, le chauffage, l’eau chaude et la piscine, on se dit qu’on est bien loin d’avoir réussi à leur vendre le concept que notre énergie vaut la peine d’être transportée à travers les terres de la Nouvelle-Angleterre. L’hydroélectricité n’est pas un concept aussi évident pour eux que pour nous et le fait de payer cette énergie souvent plus cher que le gaz naturel ne fait qu’empirer son image et l’opinion que le citoyen en a. Pour réellement faire une différence, il faudra refaire un travail de terrain complet et s’assurer que le message soit compris chez eux.

Le message de cet échec est clair pour moi : nos efforts diplomatiques sont à revoir de toute urgence. La Nouvelle-Angleterre et ses habitants devraient nous voir comme le best friend to have, celui avec qui tu souhaites aller prendre une bière un jeudi soir chez Applebee’s. Mais pour réussir cela, on doit absolument revoir notre modèle de diplomatie et recréer des liens grassroots avec le peuple de chacun des six États.

Quand on réalise que même l’État du New Hampshire vient, pas plus tard qu’en août 2021, de réduire son budget devant permettre aux agents de développement économique de venir au Québec, c’est que ma foi : New England, we have a problem !

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