En arrière-plan de la pandémie, il y a une quête de vérité pour découvrir l’origine du virus. Des épidémiologistes et des virologistes sont à pied d’œuvre pour comprendre ce qui a bien pu arriver. Où ont eu lieu les premières éclosions ? Qui sont les premières personnes qui ont été contaminées ? Quel animal a pu servir d’hôte dans la transmission du virus ? Et quel mécanisme évolutif a permis au virus de sauter de l’animal à l’humain ?

Or près de deux ans après le premier signalement de la COVID-19, d’importants doutes subsistent encore quant à l’origine du virus, a rapporté Philippe Mercure dans La Presse du 11 octobre.1

La première annonce officielle qui portait sur la pandémie a été faite le 31 décembre 2019 par la Commission de la santé de la municipalité de Wuhan, en Chine. La Commission avait alors rapporté plusieurs cas de pneumonie atypique liés à un marché de Wuhan. Or, à ce marché, il y avait plus de 50 000 animaux vivants provenant de 38 espèces différentes. Des animaux comme le vison et la civette qui auraient pu servir de vecteurs pour le virus.

Et sur place, les scientifiques ont été capables d’isoler le virus sur les surfaces du marché. Ce qui a fait dire à un virologue ayant travaillé sur les coronavirus que le marché devait être infesté de virus.

Dans une étude exhaustive parue dans la revue Nature de mars 2020, des chercheurs concluent qu’un progéniteur de SARS-CoV-2 aurait pu sauter de l’animal à l’humain et que le marché pourrait fort bien avoir joué un rôle dans la transmission du virus. Les scientifiques privilégient la thèse d’un virus qui a sauté de la chauve-souris à un animal avant d’infecter l’humain parce que les chauves-souris sont des porteurs connus de coronavirus. De plus, des chercheurs ont découvert chez certaines espèces de chauves-souris du sud de la Chine des virus avec des génomes qui s’apparentent à celui du SARS-CoV-2.

La théorie de la fuite

Bien entendu, parfois des virus peuvent s’échapper d’un laboratoire. Plusieurs ont d’ailleurs fait remarquer que le fait que la pandémie ait commencé si près de l’Institut de virologie de Wuhan est une étonnante coïncidence. Et avec le gouvernement chinois si peu coopératif, le doute persiste.

Or, en septembre dernier, le DRASTIC, un groupe d’activistes sur l’internet, a lancé une bombe en divulguant une demande de subvention plutôt controversée faite au Pentagone et datant de 2018. Le document est une demande de subvention de 14,2 millions de dollars pour de la recherche sur des maladies infectieuses émergentes faite par le président d’EcoHealth Alliance, Peter Daszak, et certains partenaires dont le virologue de l’Université de Caroline du Nord Ralph Baric et la chasseuse de virus Shi Zhengli, de l’Institut de virologie de Wuhan.

Le projet soumis comprend des recherches pour lutter contre les risques des coronavirus issus des chauves-souris, mais il y a aussi un plan pour étudier les pathogènes potentiellement dangereux en générant des coronavirus infectieux en laboratoire et en insérant des traits génétiques qui pourraient mieux infecter les cellules humaines.

Les chercheurs voulaient examiner les séquences génomiques d’échantillons de chauves-souris à la recherche de nouveaux sites de clivage de la furine. Lorsqu’elle est encodée au bon endroit, la séquence permet à Spike d’être coupé par une enzyme retrouvée sur les cellules humaines et ainsi infecter la cellule.

La présence du site de clivage de la furine n’est pas nécessairement une expérience à la Frankenstein qui a mal viré. Ces traits génétiques se retrouvent sur d’autres coronavirus de façon naturelle et indépendante. Cependant il est particulier que des chercheurs aient envisagé de telles expériences lorsqu’une des caractéristiques de SARS-CoV-2 est justement d’avoir un site de clivage de la furine. Le département de la Défense des États-Unis a depuis réagi pour assurer que la demande de subvention avait été rejetée.

Frankenstein contre Asilomar

Le roman de Mary Shelley Frankenstein, écrit en 1818, est l’histoire d’un scientifique, le docteur Victor Frankenstein, qui, obsédé par la mort, crée le monstre que tous connaissent. L’histoire est une réflexion sur les responsabilités du scientifique et le danger de les ignorer.

En 1974, des scientifiques qui utilisaient des techniques moléculaires pour couper l’ADN entre différents organismes ont demandé à l’Académie nationale des sciences d’évaluer les risques et d’imposer un moratoire sur un certain nombre d’expériences. En février 1975, à la conférence d’Asilomar en Californie, plus de 100 scientifiques de partout dans le monde se sont réunis pour discuter de la marche à suivre.

Et de cette conférence, des catégories d’expérience ont été gradées selon leurs risques. Certaines ont été désignées trop dangereuses, tandis que d’autres pouvaient être permises si des mesures pour contenir le risque étaient mises en place. Ces recommandations devinrent la base de règles adoptées partout dans le monde.

Pour plusieurs scientifiques, Asilomar est devenu un symbole de la responsabilité sociale de la science pour prévenir un quelconque microbe à la Frankenstein de s’échapper et de causer du tort.

Le professeur Erwin Chargaff, en marge du sommet d’Asilomar, posait les questions suivantes : est-ce qu’on a le droit de manipuler de façon irréversible l’évolution de millions d’années pour satisfaire l’ambition et la curiosité de quelques scientifiques ? Est-ce que tout ce qui peut être fait en recherche doit être fait ?

Au moment d’écrire ces lignes, nous n’avons aucune preuve que des chercheurs ont manipulé un coronavirus ou qu’un virus s’est échappé d’un laboratoire. Néanmoins, il est inquiétant d’apprendre que des chercheurs ont envisagé des expériences de recombinaison génétique du virus pour infecter plus facilement les cellules humaines. À la lumière des révélations du DRASTIC, les leçons d’Asilomar sont autant d’actualité aujourd’hui qu’elles ne l’étaient autrefois.

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