Le premier ministre Robert Bourassa est décédé il y a 25 ans ce mois-ci. Dans son ouvrage L’énergie du Nord, la force du Québec, paru en 1985, M. Bourassa appelait de ses vœux, dans un plaidoyer aussi fervent que persuasif, l’exploitation des ressources hydroélectriques du nord du Québec. En somme, il estimait que les marchés du nord-est des États-Unis et du Canada seraient rentables à moyen et long terme, il s’inquiétait vivement des dangers de l’« effet de serre » et il plaidait que l’hydroélectricité pouvait assurer la sécurité énergétique du Québec davantage que le ferait l’énergie nucléaire. L’histoire jugea de sa vision avec une relative bienveillance.

Ce qui est fascinant pour quiconque lit ce livre aujourd’hui est le degré de détails dévoilés par M. Bourassa quant aux échanges et aux discussions qu’il a eues avec les gouverneurs du nord-est des États-Unis. De toute évidence, il entretenait d’excellentes relations avec ses homologues régionaux. Bien que le gouvernement du Québec soit aujourd’hui en avance par rapport aux autres juridictions en termes de « diplomatie du réseau énergétique », le temps est venu de suivre l’exemple de M. Bourassa et de redoubler d’efforts et d’investir davantage dans la stratégie et la planification régionale du réseau.

Les électeurs du Maine vont bientôt se prononcer par référendum sur le sort du projet de transmission New England Clean Energy Connect (NECEC), soutenu par Hydro-Québec. Le but ultime de ce projet est d’approvisionner le Massachusetts en énergie – et cette décision sera emblématique du grand débat sur l’avenir énergétique du nord-est du continent.

Pourquoi les électeurs du Maine, qui pourraient bien rejeter la proposition, seront-ils appelés à décider du sort d’un projet interrégional qui confère des avantages à plusieurs juridictions et qui serait financé par les consommateurs du Massachusetts ? La raison est simple : les États américains et les provinces canadiennes ne coordonnent pas suffisamment la planification de leurs réseaux, et ce, même si nos destins sont inexorablement liés.

Les États et les provinces prennent des mesures unilatérales, sans pour autant bénéficier d’une vision régionale. Le projet NECEC met en lumière les déficiences d’une approche régionale qui se heurte aux frontières des États, des provinces et des pays.

Outre-Atlantique, les 42 gestionnaires de réseau de transport électrique de 35 pays de l’Union européenne se sont engagés à coordonner le développement, l’exploitation et la fiabilité du réseau électrique européen. De plus, les Européens évoluent vers un programme de décarbonation devant leur permettre d’atteindre à terme la carboneutralité. Des mécanismes de planification de transport et d’approvisionnement harmonisés mènent à des « projets d’intérêt commun » qui bénéficient d’un traitement uniforme en vertu des lois du pays hôte et d’un accès au financement des institutions de la Commission européenne. Malgré le Brexit, les entreprises du Royaume-Uni continuent de participer au sein du consortium ENTSO-E. Si l’Islande et Malte peuvent accepter de coopérer sur des enjeux fondamentaux de planification technique, il devrait en être de même pour des acteurs comme le Nouveau-Brunswick, le Rhode Island, le Vermont et le Québec.

Un investissement de l’ordre de quelques millions de dollars par an pour financer un secrétariat régional pourrait soutenir des dizaines de milliards de dollars d’investissement dans des interconnexions (comme le NECEC), ainsi que de nouveaux projets de production d’énergie locale et renouvelable dans chaque province et chaque État, en plus de créer des emplois bien rémunérés. Pour mettre en œuvre une telle vision, il faut construire des interconnexions dans la région du Nord-Est américain.

Pour le Québec, l’exportation de son énergie hydroélectrique n’est pas une fin en soi. Plutôt, il s’agit d’un moyen de construire des ponts qui renforceront les liens entre des économies régionales interdépendantes et de mettre à profit des liaisons commerciales pour accroître notre résilience collective face aux importants défis découlant des changements climatiques.

Dans ce cas comme dans bien d’autres, l’« union fait la force ».

M. Bourassa a eu raison de consacrer du temps, des investissements et des ressources de l’État pour promouvoir une vision nord-américaine. Nous devons aller plus loin et créer un cadre de marché commun qui évitera que les futurs projets de transmission soient soumis à des stratagèmes financiers obscurs et à des processus d’approvisionnement risqués et imprévisibles. Cela devient un impératif pour atteindre nos objectifs de décarbonation.

* Jean Charest est associé au sein du cabinet McCarthy Tétrault.

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