En réponse à l’éditorial de Vincent Brousseau-Pouliot, « Oui à la protection du français, non à la disposition de dérogation », publié le 9 octobre

Dans un texte paru le 9 octobre dernier, Vincent Brousseau-Pouliot commente l’usage de la disposition de souveraineté parlementaire (aussi appelée clause dérogatoire) dans le projet de loi 96 visant à renforcer la loi 101, et ce, en évoquant certains de mes résultats de recherche. Il s’oppose à cet usage parce qu’il ne serait pas utile sur le plan juridique, le projet de loi 96 étant conforme aux chartes des droits, qu’il ne faudrait jamais utiliser cette disposition de manière préventive et qu’elle n’aurait véritablement été utilisée qu’à trois reprises.

Ce projet de loi a beau paraître conforme aux interprétations actuelles de ces chartes, rien ne garantit qu’il sera conforme à leurs futures interprétations. Rappelons-nous qu’au printemps dernier, un juge a interprété le droit des anglophones à une instruction dans leur langue comme interdisant au Québec d’imposer aux enseignants des écoles anglaises une règle les obligeant à enseigner à visage découvert ! Une telle interprétation était plus qu’improbable au moment d’adopter cette règle. Seul un usage préventif de la disposition de souveraineté parlementaire aurait pu empêcher cela (ce qui n’était pas possible dans ce cas puisque ce droit est à l’abri de cette clause).

Ce n’est pas pour rien que cette disposition peut être utilisée à titre préventif, donc avant une décision jugeant une loi contraire à une des chartes. Les élus qui ont adopté ces chartes auraient pu rendre cette disposition utilisable seulement après un tel jugement. Ils ont plutôt choisi d’en permettre l’usage préventif et ce choix a été confirmé par la Cour suprême.

Sur les cents quelques cas d’usages de cette disposition survenus depuis l’adoption de ces chartes, seuls deux cas sont survenus après un tel jugement. L’usage préventif est donc la règle et non l’exception.

Prétendre que cette disposition n’aurait véritablement été utilisée qu’à trois reprises est en total décalage par rapport à ce que démontre la littérature scientifique. Pour arriver à ce chiffre de trois, M. Brousseau-Pouliot calcule comme correspondant à un seul usage de la disposition des lois invoquant à plusieurs reprises cette disposition et exclut de son calcul les lois l’invoquant lorsque, à son avis, cette invocation n’a pas d’effet juridique réel considérant que ces lois seraient conformes aux chartes. Mais pour démontrer un tant soit peu cette prétendue absence d’effet juridique réel, il faudrait qu’il produise autant d’avis juridiques confirmant cette conformité qu’il y a eu de cas d’usage d’une disposition et donc plus d’une centaine d’avis.

Or, sauf exception, tous les projets de loi adoptés au Québec font l’objet d’un avis juridique relatif à leur conformité aux chartes avant leur adoption. Comme plus d’une centaine de paragraphes dans diverses lois ont invoqué cette disposition de souveraineté parlementaire, cela indique qu’autant d’avis juridiques ont conclu que ces lois présentaient un risque, de très modéré à très élevé, d’être jugées contraires aux chartes.

Par-dessus tout, il est absurde de voir M. Brousseau-Pouliot exclure de son calcul les cas d’usage de cette disposition dans des lois qui, à son avis, sont conformes aux chartes, et juger qu’en raison de cette conformité, cet usage dans ces lois n’est pas problématique, tout en affirmant que l’usage de cette disposition dans le projet de loi 96 est problématique même si ce projet est conforme aux chartes.

Enfin, n’oublions pas l’essentiel. La loi 101 de 1977 a fait progresser le français pendant quelques années, puis a été invalidée entre autres parce qu’elle était dépourvue d’une disposition de souveraineté parlementaire, et ensuite, le français s’est remis à décliner. Ne serait-ce que pour cette raison, il n’est pas possible de dire oui à la protection du français, mais non à cette disposition.

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