L’action internationale du Canada se fait plutôt discrète. Pendant la campagne électorale, les propositions des partis en la matière étaient d’ailleurs à peine audibles, tout comme celles en culture et en communications. En voici donc une, à la confluence des deux : financer la mise sur pied d’un service mondial à Radio-Canada/CBC.

Il ne s’agit pas de simplement grossir les rangs du réseau actuel de correspondants étrangers (quoiqu’on ne s’opposerait pas à une telle ambition), qui s’adresse d’abord et avant tout au public canadien. Il s’agirait de déployer un vaste réseau de journalistes et de diffusion sur plusieurs continents pour informer ces mêmes publics dans une multitude de langues, à la façon de BBC World Service, de France 24 ou de la Deutsche Welle.

Bref, offrir une information libre et indépendante à des publics qui y ont de moins en moins accès.

Guerres de l’information

Le contexte « géomédiatique » s’est en effet détérioré au cours de la dernière décennie. La liberté de la presse recule dans le monde sous l’assaut de gouvernements aux plis autoritaires, une tendance qui va de pair avec le repli démocratique.

Poursuites, amendes salées, intimidation, expulsion de journalistes étrangers, bannissement… Bien des pays serrent de plus en plus la vis aux médias indépendants.

Cela n’empêche pas ces mêmes pays de déployer des efforts soutenus pour occuper le terrain informationnel à l’extérieur de leurs frontières avec une approche qui fait peu de cas de la liberté de la presse. Et certaines y parviennent très bien.

C’est le cas des chaînes russes RT et Sputnik, dont l’ambition n’est pas tant de rehausser la réputation mondiale de la Russie que de relativiser, voire de dénigrer celle des pays occidentaux. Le succès est au rendez-vous : les deux chaînes sont aux deuxième et troisième rangs des médias publics internationaux les plus consultés sur l’internet, derrière la BBC.

La Chine, elle, a décidé il y a 10 ans d’investir 8 milliards de dollars pour « bien raconter le récit chinois » (« tell China’s story well ») au monde, selon les mots de Xi Jinping, en accord avec la ligne du Parti communiste chinois. Les médias doivent maintenir l’« orientation correcte de l’opinion publique » et promouvoir la « propagande positive comme thème principal ». C’est le cas des chaînes CCTV et CGTN, qui diffusent en six langues. En Afrique, où les efforts sont considérables, la Chine peut profiter des infrastructures de télécommunication qu’elle y a développées pour promouvoir son contenu d’information et de divertissement.

Même l’Iran est de la partie. Avec un budget de 1 milliard de dollars, l’Islamic Republic of Iran Broadcasting et ses succursales réparties dans 20 pays contrôlent 40 chaînes télé et radio diffusées en 30 langues. Les publics cibles se trouvent au Moyen-Orient, en Afrique, en Amérique latine et en Occident, notamment avec la chaîne Press-TV, offerte en anglais et en français. L’objectif est de soigner l’image de Téhéran, de contrer la « propagande occidentale contre l’Iran » et de cultiver sa réputation de puissance anti-impérialiste1.

Parmi les démocraties libérales, le Royaume-Uni a pris acte de cette nouvelle donne « géomédiatique ». En 2016, Londres a fait un réinvestissement majeur dans le BBC World Service en renforçant ses effectifs et en lançant des services en 11 langues supplémentaires, pour un total de 40. « En tant que diffuseur indépendant, nous restons plus que jamais pertinents au XXIe siècle, alors que dans de nombreux endroits, il n’y a pas plus de liberté d’expression, mais moins », avait déclaré sa directrice, Fran Unsworth.

Son budget avoisine les 600 millions de dollars. Ceux de France 24 et de Radio France internationale combinés frôlent les 400 millions, tandis que celui de la Deutsche Welle est entre les deux.

Les atouts de Radio-Canada/CBC

Ottawa appuie ouvertement la cause de la liberté des médias. En 2019, il a fondé avec le Royaume-Uni la Coalition pour la liberté des médias, un groupe de pays voué à la promotion et au soutien de la liberté de la presse ainsi qu’à la sécurité des professionnels des médias. Le Canada est aussi l’un des 11 pays fondateurs du Partenariat Information et démocratie, qui a posé la même année « les principes et les objectifs pour promouvoir l’accès à une information fiable ».

Le Canada pourrait faire un pas de plus.

Radio-Canada/CBC a tous les atouts pour jouer un rôle international d’envergure : héritier d’une tradition de liberté de la presse parmi les plus solides au monde, selon Reporters sans frontières, fort de ses standards professionnels et déontologiques élevés, rompu au journalisme international et déjà offert en deux langues internationales.

Sans oublier qu’il a déjà eu une vocation mondiale. Pendant la guerre froide, Radio-Canada International (RCI) était la « Voix du Canada », diffusée en 16 langues. On comptait d’ailleurs parmi ses centaines d’employés un certain René Lévesque.

RCI existe toujours, avec un rôle adapté à notre époque. Mais avec une dizaine d’employés établis au pays, on ne peut parler d’un véritable service mondial…

Enfin, le public canadien aurait lui aussi tout à gagner d’un tel service, qui l’informerait mieux que jamais sur le monde. Et inversement, en diffusant aussi des nouvelles sur le Canada, ce même service informerait mieux les publics étrangers sur ce qui se passe au pays.

Le Canada est l’une des démocraties libérales qui investissent le moins dans leurs diffuseurs publics : 33 $ par habitant. La moyenne est de 88 $. La proposition est ambitieuse, mais il y a de la marge pour un peu d’audace.

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