Entendre parler de notre système de santé qui est malade, c’est devenu même trop cliché pour l’écrire. Ce n’est plus original. It’s old news. Ce qui est nouveau, pour moi du moins, c’est que je n’ose même plus écrire « santé », dans « système de santé ».

La vérité, c’est que partout où je regarde, il n’y a personne en santé. Les malades sont plus malades qu’avant, et pas seulement de la COVID-19. Ils sont malades parce qu’ils ont dû attendre pour leur suivi, soit par peur d’attraper le virus, à cause du confinement et de l’isolement, ou encore juste parce que les soins étaient moins accessibles, sans parler du délestage. Les programmes de dépistage ont été mis sur pause. Les rendez-vous se sont faits majoritairement par téléphone. Les interventions, qui avaient déjà, avant, du retard… ont été tassées. Et on ne devine que la pointe de l’iceberg, 18 mois plus tard, si vous voulez mon avis.

Les patients nous arrivent plus amochés, décompensés, non diagnostiqués, à moitié soignés. La santé mentale, on n’en parle même pas.

Les cancers ont eu le temps d’arriver, de se propager et d’écrire le début de la fin de l’histoire de bien des patients, malheureusement.

J’ai beau avoir un biais de sélection, via ma population âgée, vulnérable, à domicile et mes soins palliatifs… reste que c’est quand même censé être rare, dans la même demi-journée, que j’évalue deux patients d’à peine 40 ans, pour des aides médicales à mourir.

Les demandes, récemment, pleuvent. C’est juste plate que ce ne soit pas le cas des professionnels de la « santé » capables d’y participer.

Quand l’aide médical à mourir (AMM) est arrivée au Québec, en décembre 2015, on a commencé à écrire l’histoire… histoire à laquelle j’étais fière de contribuer, dès les débuts de l’année 2016. Les formations auxquelles j’ai participé, me plaçaient donc dans le moins de 1 % des médecins impliqués avec le soin, à l’époque. Et même trois ans plus tard, bien avant la pandémie, en 2019, le Canada, dans son premier rapport annuel sur l’AMM, parle d’un maigre 1,3 %. Et criez au pessimisme si vous le voulez, mais je doute que ça se soit amélioré depuis.

Je n’ai pas besoin de vous faire un dessin pour vous illustrer l’épuisement des professionnels sur le terrain. Nos infirmières s’en vont, démissionnent, changent de branche. Les arrêts pour maladie arrivent de tous les bords. Nos urgences ferment, accumulant les ruptures de services les unes après les autres. Le report des interventions chirurgicales se poursuit. Les demandes de faire plus avec moins s’additionnent.

Non seulement le système n’était pas fort, mais on a continué de le ruer de coups de pied dans les côtes, même quand il était par terre. Et, entre nous, entre soignants, on fait malheureusement la même chose.

Je pense que chaque professionnel de soins commence sa pratique avec les meilleures intentions. Nos batteries sont rechargées. Nos espoirs, gonflés. Notre motivation nous pousse dans le dos, comme un vent chaud d’été. Let’s do this !

Puis, à un moment donné, la réalité nous rattrape. La fatigue s’installe. L’impuissance vient péter nos ballounes d’espoir.

Le vent devient inconfortable, puis il change de bord pour nous arriver dans la face. Gotta. Keep. Going…

Tu rajoutes une pandémie sur des travailleurs déjà fatigués, et ce n’est pas long que l’épuisement de compassion se pointe le bout du nez. C’était prévisible. On est juste des humains, pas des anges gardiens.

Par contre, ce que je n’avais pas vu venir, c’est que cet épuisement-là s’en prenne non seulement aux soins des patients… mais aussi à la solidarité au sein des équipes.

On voit des conflits apparaître. On voit les travailleurs se diviser. Se critiquer. Se tomber sur la tomate.

Ceux qui s’en vont sont montrés du doigt. Ceux qui trouvent le courage de mettre des limites sont jugés. C’est une ambiance mélangée de nombrilisme, de détresse et de culpabilité, qui meuble les réunions. On joue au docteur brûlé musical, les uns compensant pour les autres, jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus, eux non plus.

Et on recommence.

Et malgré ce qui devrait nous apparaître comme une évidence, on est trop pris dans cette roue malsaine, dont le moteur est une culture toxique présente depuis trop longtemps, pour y voir clair.

Trop fatigués, pour la majorité, pour sortir la tête de l’eau, respirer un bon coup, et essayer de voir plus loin. Ma psy me répétait, récemment, une phrase qui me parle de plus en plus : « If you stick your head out of the pond, expect to get shot at. » (Si tu sors la tête de l’étang, attends-toi à te faire tirer dessus.)

Voyez-vous, je pense qu’on lui a tellement tout donné, à notre système… qu’au bout du compte, c’est toute la santé qui y est passée, y compris la nôtre.

Il ne nous reste qu’un système de malades.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion