(Edmonton, Alberta) Pendant la campagne électorale, des voix se sont élevées pour critiquer le moment choisi par le gouvernement de Justin Trudeau pour déclencher une élection au cœur de la quatrième vague de la COVID-19. Certes, plusieurs de ces attaques relèvent de la partisanerie, mais le contexte pandémique pourrait avoir un effet sur les résultats du scrutin de lundi. D’aucuns craignent un faible taux de participation. Et les précédents ne sont pas toujours rassurants.

En pleine crise de l’influenza en 1918, les élections de mi-mandat aux États-Unis avaient vu la participation électorale diminuer de 20 %. À cette pandémie, s’ajoutait toutefois la Première Guerre mondiale qui impliquait l’envoi au front de nombreux électeurs potentiels. Des journaux de l’époque rapportent que les citoyens se rendaient tôt au bureau de vote pour éviter la cohue. Certains États avaient monté des tentes pour permettre le vote en plein air.

L’exemple récent de l’élection à Terre-Neuve montre à quel point voter en période pandémique peut devenir hasardeux. Avec la résurgence des cas de COVID-19, le vote en personne a été annulé et la campagne électorale s’est finalement étendue sur une dizaine de semaines. À 48 %, le taux de participation préliminaire soulève des inquiétudes sur l’état de santé de la démocratie.

Bref, les Canadiennes et les Canadiens qui se rendront aux urnes lundi le feront dans un contexte inusité. Pourtant, ce n’est pas la première fois dans l’histoire canadienne que des obstacles se posent sur la route des électeurs désireux d’exercer leur droit.

Retour sur l’histoire du droit de vote

Au moment de la création du Canada en 1867, le contrôle des élections et du droit de vote relève des provinces ; il n’y a pas de loi pour encadrer le processus au fédéral. Les élections s’apparentent souvent à des foires d’empoigne. Le vote secret n’étant pas encore entré dans les mœurs, il faut déclarer son choix à voix haute. Dans ce contexte, l’intimidation est omniprésente et certains électeurs se retrouvent muselés. Le vote secret fait son apparition aux élections générales de 1878, mais cela ne règle pas tous les problèmes ; l’achat des votes demeure répandu bien qu’on puisse douter de son efficacité une fois l’électeur à l’abri des regards dans l’isoloir. D’autres pratiques électorales frauduleuses sont également monnaie courante. Les listes électorales sont aisément falsifiées et rarement mises à jour. Conséquence : on recense 34 000 faux électeurs aux élections de 1891, et ce, uniquement en Ontario. Des gens décédés seraient miraculeusement ressuscités pour aller faire une croix au bon endroit sur le bulletin.

Il va falloir plusieurs années avant d’éradiquer ces pratiques douteuses. Ce n’est d’ailleurs qu’en 1920 que le Parlement canadien établit un bureau indépendant pour gérer le processus électoral et instaure le poste de Directeur général des élections.

Malgré la volonté de régulariser les procédures électorales, le monde politique ne sera jamais exempt de scandales.

Si l’exercice de son droit démocratique pouvait s’avérer éreintant, encore fallait-il appartenir à un groupe de privilégiés pour y avoir accès. Le droit de vote lui-même est en effet d’abord réservé à une frange très restreinte de la population. Il faut être un homme, sujet britannique, âgé d’au moins 21 ans et propriétaire. Les exigences concernant la propriété sont levées en 1920. Rappelons que c’est dans le contexte des bouleversements de la Première Guerre mondiale que les femmes obtiennent le droit de vote au fédéral après des années de luttes menées par les suffragistes. Des autochtones ayant servi dans l’armée canadienne au cours des deux guerres mondiales obtiennent également le droit de vote, mais il faut attendre 1960 avant qu’il ne soit généralisé à l’ensemble des Premières Nations. Si les crises ont pu accélérer les réflexions sur la démocratisation du droit de vote, elles ont aussi généré des transformations du paysage politique.

Transformation du paysage politique

La Grande Dépression des années 1930 met en lumière comment les périodes de détresse sociale constituent un terreau fertile à l’émergence de nouvelles idées, voire de nouvelles forces politiques. Aux élections fédérales de 1935, deux partis nés en Alberta, province particulièrement affectée par la crise économique, font leur entrée à la Chambre des communes : la Cooperative Commonweath Federation (CCF, ancêtre du Nouveau Parti démocratique), qui fait élire sept députés, et le Crédit social, qui en fait élire 17. À la gauche de l’échiquier politique, la CCF souhaite la centralisation des pouvoirs du gouvernement fédéral pour créer des programmes sociaux permettant de réduire les écarts de richesse amplifiés par l’absence de filet social. Mouvement politique conservateur ancré dans les valeurs chrétiennes, le Crédit social montre comment la fibre populiste peut vibrer lors de moments troubles.

Le passé n’est pas toujours garant de l’avenir, mais la pandémie risque fort de laisser son empreinte sur la scène politique au-delà des élections de lundi.

Quant aux nouvelles options politiques, si le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier existait avant la pandémie, il semble profiter du climat clivant pour brouiller les pistes dans certaines circonscriptions et diviser le vote conservateur. Pour ce qui est de voter, de multiples stratégies sont en place pour permettre l’expression de ce droit dans un contexte d’adversité : vote par la poste, vote par anticipation. Toutefois, si la participation s’avérait décevante, une réflexion s’imposera sur l’accessibilité du vote en temps de crise sanitaire.

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