(Kelowna, Colombie-Britannique) Le débat des chefs en anglais a rapidement perdu en crédibilité quand une question biaisée a été posée au chef bloquiste. Évoquant le racisme, la modératrice Shachi Kurl lui a demandé d’expliquer pourquoi il défendait les lois 21 et 96, qualifiées de discriminatoires.

Une autre intervention révélatrice a été faite plus tard, quand Yves-François Blanchet a demandé pourquoi la question des droits des minorités francophones hors Québec n’avait pas été discutée. La modératrice a rétorqué que cette question était hors sujet compte tenu des thèmes retenus pour le débat. Compte tenu de cette absence, je propose donc aujourd’hui de discuter de la situation des minorités francophones hors Québec.

Je suis arrivé en Colombie-Britannique lors des dernières élections fédérales, en 2019. La loi 21 y a joué un rôle important, étant un élément marquant de la campagne et des débats. Cet intérêt était visible dans la couverture médiatique, mais aussi dans les départements de science politique au Canada anglais. Autant mes nouveaux collègues que mes étudiants soulevaient le sujet, apparemment très intrigués par ma perspective québécoise sur le sujet.

Je mentionne cette anecdote pour illustrer que cette attention portée au Québec n’est pas seulement une anomalie médiatique, mais qu’elle reflète une réalité vécue sur le terrain.

Par contre, je n’ai jamais reçu une seule question au sujet des droits des francophones minoritaires en Colombie-Britannique. C’est une omission notoire, puisque la Cour suprême du Canada a jugé en 2020 que la province enfreint les droits des francophones à une éducation de qualité.

La bataille juridique entamée par le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique remonte à 2010. Le Conseil arguait que la province sous-finançait les services aux francophones. Cet argument est basé sur l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit aux minorités linguistiques le droit à l’éducation dans leur langue. Lors du jugement de première instance, la cour a conclu que les services aux francophones souffraient d’un manque de ressources causant un entretien inadéquat des lieux et le refus de construire de nouvelles écoles, malgré des projections suggérant une hausse du nombre d’élèves et des écoles surpeuplées.

Néanmoins, le juge de première instance s’est rangé du côté des avocats de la province, qui soutenaient que les fonds provinciaux étaient limités et que ces limitations budgétaires justifiaient de ne pas financer davantage les services aux populations francophones de la province. Le juge a accordé 6 millions de dollars pour le transport, mais aucune obligation pour la province de construire de nouvelles écoles ou d’améliorer substantiellement les services aux élèves francophones.

Un jugement historique

Le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique étant insatisfait du jugement, il a fait appel jusqu’à la Cour suprême. Le cas a suscité beaucoup d’intérêt, puisque son interprétation a le potentiel d’influencer les droits des minorités linguistiques non seulement en Colombie-Britannique, mais aussi dans l’ensemble du pays. Par conséquent, cinq provinces anglophones et les Territoires du Nord-Ouest sont intervenus dans le jugement pour défendre la Colombie-Britannique.

En 2020, la Cour suprême a rendu le jugement définitif en la matière. Elle va beaucoup plus loin que le jugement de première instance. Elle ajoute 1,1 million de dollars à verser au Conseil pour le manque d’entretien des établissements scolaires.

De plus, la Cour oblige la Colombie-Britannique à construire ou rénover substantiellement huit nouvelles écoles pour assurer des services partout où cela est nécessaire dans la province.

La Cour souligne aussi que la gestion des fonds publics ne peut être utilisée pour justifier d’enfreindre les droits contenus dans la Charte, puisque sinon, les gouvernements pourraient constamment ignorer ces droits au nom de la rigueur budgétaire.

Ce jugement est historique. Il clarifie les obligations des gouvernements provinciaux stipulées dans l’article 23 de la Charte des droits et libertés. Il annonce aussi des changements importants à venir non seulement en Colombie-Britannique, mais aussi dans la plupart des provinces anglophones, puisque les groupes de défense des droits des francophones peuvent maintenant utiliser ce jugement pour demander plus de services de la part des gouvernements provinciaux.

Pourtant, cet enjeu a été complètement absent lors de cette campagne électorale. Certains des principaux partis fédéraux ont proposé des normes pancanadiennes en santé. Que pensent-ils de normes pancanadiennes en éducation pour les minorités linguistiques ? Le gouvernement fédéral devrait-il utiliser son pouvoir fédéral de dépenser pour aider les provinces à financer de nouvelles écoles dans la langue des minorités linguistiques ?

Ces questions sont restées sans réponse lors des débats des chefs, puisque le sujet n’a même pas été abordé. C’est une omission flagrante compte tenu de l’importance accordée aux questions identitaires et aux droits découlant de la Charte des droits et libertés durant les campagnes électorales fédérales.

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