Durant les campagnes électorales, les leaders fédéraux implorent les Canadiens d’élire un gouvernement conservateur (ou libéral ou néo-démocrate). Les commentateurs politiques parlent aussi souvent du choix des électeurs d’élire tel ou tel gouvernement. Or, cette grammaire appartient au contexte politique de nos voisins du Sud. Et notre démocratie est bien différente.

Pour le meilleur et pour le pire, en 1867, nos élites politiques ont explicitement érigé un régime politique différent de celui des Américains. L’une des garanties de cette différence est inscrite dans la Loi constitutionnelle de 1867 : le Canada est fondé sur « une Constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ».

Certes, des évènements, comme l’enchâssement dans la Constitution de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982, rappellent que le Canada demeure influencé par ce qui se passe aux États-Unis. Ce moment marque effectivement un tournant, où la logique de la souveraineté parlementaire à la britannique – les lois adoptées par le Parlement sont les normes suprêmes du pays – s’est vue concurrencée par celle de la suprématie constitutionnelle à l’américaine – des magistrats contrôlent la validité constitutionnelle des lois et peuvent les invalider si elles violent les droits contenus dans la Charte de 1982.

Cependant, en tant que monarchie constitutionnelle érigée sur les piliers du parlementarisme britannique, le Canada ressemble bien davantage à ce qu’on retrouve au pays de Churchill que dans celui de Roosevelt.

(Con)fusion des pouvoirs au Canada

Depuis le célèbre ouvrage De l’esprit des lois de Montesquieu, on parle des trois branches du pouvoir et de leur séparation pour limiter toute forme de tyrannie. Or, si les États-Unis ont effectivement adopté un système de contre-pouvoirs – le pouvoir exécutif, entre les mains du président désigné par le peuple, est autonome des pouvoirs législatif (le Congrès) et judiciaire (la magistrature), et vice-versa –, il n’en est rien ici.

Au Canada, le pouvoir exécutif – en principe, la reine et ses conseillers, mais en pratique le premier ministre et son cabinet – émane du pouvoir législatif et non du peuple.

Ainsi, le cabinet des ministres consiste en un club sélect d’élus qui, comme les autres, participent néanmoins aux travaux parlementaires. Par sa mainmise sur le parti ayant fait élire le plus de sièges, le premier ministre contrôle le Parlement. Enfin, bien que la magistrature se soit dotée de sa propre « convention collective » (arrêt Valente, 1985), garantissant l’indépendance et l’impartialité judiciaires, les juges des tribunaux supérieurs sont tous nommés par la Couronne (en pratique : par le premier ministre).

C’est la raison pour laquelle on parle d’une (con)fusion des pouvoirs dans le régime canadien. La concentration des pouvoirs dans les mains du premier ministre est telle que plusieurs le qualifient de monarque élu.

Harper c. Massicotte

Si les Canadiens n’élisent pas directement le premier ministre et son gouvernement, comment se constituent-ils ? D’abord, le pouvoir exécutif émane du législatif, dont les membres sont élus par le peuple. Notre régime repose effectivement sur le principe du gouvernement responsable : les membres de l’exécutif sont issus de la Chambre et conservent le pouvoir tant et aussi longtemps qu’il bénéficie de la confiance d’une majorité de parlementaires. Cette confiance est dite présumée, et ce, tant et aussi longtemps qu’ils ne la retirent pas explicitement, par exemple en refusant d’adopter le budget ou en faisant adopter une motion de censure. Sans cette confiance, le gouvernement n’a plus de légitimité et doit démissionner.

Au terme d’une élection générale, l’un des élus sera ainsi appelé par la représentante de la Couronne, la gouverneure générale, à former un gouvernement. Typiquement, cette personne est le chef de la formation politique qui contrôle le plus grand nombre de sièges au Parlement.

C’est la raison pour laquelle Stephen Harper, après avoir remporté la pluralité (mais pas la majorité) des sièges en 2008, parlait d’un coup d’État quand les leaders de l’opposition ont formé une alliance parlementaire pour renverser son gouvernement, et demander à la gouverneure générale de leur donner l’occasion de former un exécutif jouissant de la confiance de la Chambre.

Cependant, le politologue Louis Massicotte et d’autres1 contestent la vision de Harper. La convention voulant que le chef du parti ayant obtenu le plus de sièges devienne premier ministre est valable seulement si ce dernier jouit de la confiance d’une majorité de parlementaires.

Le 21 septembre

Le lendemain du scrutin du 20 septembre prochain, il faudra attendre un certain temps avant de connaître le résultat, pour compter les nombreux votes par correspondance, prisés dans le contexte pandémique. Cela risque de faire monter d’un cran les tensions entre les aspirants locataires du 24, promenade Sussex.

Si aucune majorité parlementaire claire n’est dégagée après le décompte des bulletins de vote traditionnels, le leader du parti ayant fait élire le plus de députés criera sans doute victoire. Mais la joute pour le pouvoir ne sera pas forcément terminée. Les formations qui arriveront en deuxième, troisième et quatrième places pourraient être tentées de former une coalition et d’indiquer à la gouverneure générale qu’ils souhaitent former un gouvernement jouissant de la confiance du Parlement.

Contrairement aux idées reçues, cette coalition serait conforme au parlementarisme, comme me l’a déjà enseigné Massicotte.

« Puissiez-vous vivre à une époque intéressante », disent les Anglais. Plus que jamais, ce sera peut-être notre cas dans quelques jours !

Lisez le texte de Benoît Pelletier Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion