Le 20 septembre, les conservateurs pourraient obtenir plus de sièges que les libéraux tout en n’étant pas à même de former un gouvernement

La soirée électorale du 20 septembre pourrait hypothétiquement placer les Canadiens devant une problématique – un défi, diront certains – tout à fait spéciale. En effet, les conservateurs pourraient obtenir plus de sièges que les libéraux tout en n’étant pas à même de former un gouvernement majoritaire. De plus, le premier ministre sortant Justin Trudeau pourrait annoncer qu’il n’a pas l’intention de démissionner et considérer au contraire la possibilité de demeurer au pouvoir.

Il faut savoir que, en pareilles circonstances, trois grandes règles s’appliquent.

Premièrement, le gouverneur général – ou les lieutenants-gouverneurs – doit s’assurer que soit respecté en tout temps le principe du gouvernement responsable. Cela veut dire que le gouvernement en présence doit jouir de la confiance de la Chambre des élus. Dans le cas contraire, il doit démissionner ou demander la dissolution de la Chambre. Cette dernière peut d’ailleurs lui être refusée par le gouverneur général – ou le lieutenant-gouverneur – lorsqu’il s’avère qu’une autre formation politique (ou une coalition) est en mesure d’obtenir la confiance des députés, qu’elle semble être en mesure de gouverner pendant une période raisonnable et qu’une élection générale a été tenue peu de temps auparavant. Le refus d’une telle demande de dissolution par le gouverneur général ou le lieutenant-gouverneur s’est notamment produit en 1926 (affaire King-Byng) et en 2017 (avec le gouvernement Clark de la Colombie-Britannique).

Deuxièmement, le premier ministre sortant a un avantage sur les autres chefs de formations politiques – même s’il a obtenu moins de sièges qu’un autre ou que d’autres partis – tant et aussi longtemps qu’il ne fait pas face à une défaite en Chambre. Dans le cas qui nous occupe, cela signifie que M. Trudeau pourrait continuer à former le gouvernement et « tenter sa chance », c’est-à-dire essayer d’obtenir la confiance des députés. Cela serait faisable s’il avait l’appui des néo-démocrates et des bloquistes, ne serait-ce que pendant un certain temps. Des situations où le gouvernement sortant a remporté moins de sièges qu’un autre parti politique, mais a quand même continué à gouverner un certain temps se sont notamment produites en 1878 (avec le gouvernement de Henri-Gustave Joly de Lotbinière), en 1925 (avec Mackenzie King) et en 2018 (avec Brian Gallant, au Nouveau-Brunswick).

Troisièmement, le gouverneur général doit assurer la stabilité de l’État. Cela revient à dire, entre autres, que, autant que possible, il ne doit pas y avoir déclenchement d’une élection trop précipitamment et surtout, pas trop proche d’une autre.

Les règles qui précèdent découlent de conventions ou pratiques constitutionnelles bien établies. Le jugement de la Cour suprême du Royaume-Uni du 24 septembre 2019 – dans lequel la Cour a invalidé un décret en conseil par lequel le premier ministre Boris Johnson ordonnait que la Chambre des communes soit prorogée pendant cinq semaines – ne les remet aucunement en question. Au contraire, ce jugement confirme, si besoin était, la première règle dont nous avons parlé, soit celle du gouvernement responsable.

Évidemment, si M. Trudeau devait démissionner, cela ouvrirait toute grande la porte à un gouvernement conservateur minoritaire. Ce dernier devrait alors chercher à avoir l’appui du Bloc québécois ou du NPD ou des deux, selon le nombre de sièges obtenus par chacun d’eux. Mais nous ne conseillerions pas à M. Trudeau de démissionner tant et aussi longtemps qu’il ne serait pas certain que les conservateurs peuvent former un gouvernement ayant la confiance des élus.

En effet, dans l’hypothèse où M. Trudeau devait démissionner prématurément et où les conservateurs devaient ne pas être en mesure de former un gouvernement disposant de la confiance des députés, nous nous retrouverions alors dans la situation où la Couronne n’aurait plus de gouvernement. Cela doit être évité à tout prix dans notre régime parlementaire.

Certes, les conventions et pratiques constitutionnelles évoluent. Naissant dans le monde politique et se développant dans celui-ci, elles sont susceptibles de se transformer au gré des accords ou désaccords politiques. Il n’en reste toutefois pas moins qu’elles [les conventions et pratiques constitutionnelles] ne sauraient être tassées à la légère, car, après tout, elles font partie des fondements mêmes de notre Constitution. Nous irions même jusqu’à dire que, bien qu’elles ne soient pas des règles de droit au sens strict et qu’elles ne soient pas sanctionnables par les tribunaux, elles participent, à leur façon, à l’édification de l’État de droit et au respect de la primauté du droit.

D’ailleurs, le gouverneur général et les lieutenants-gouverneurs ne sauraient prendre des décisions arbitraires ou partisanes face aux aléas de la politique, surtout pas lorsqu’il s’agit de choisir le premier ministre et le gouvernement. Ils doivent plutôt analyser les précédents, rechercher quels sont les principes par lesquels la plupart des acteurs politiques se sentent liés et déceler la raison d’être de ces principes. Bref, ils doivent rechercher les conventions et pratiques reconnues en telle ou telle matière. Ces conventions et pratiques constitutionnelles nous servent de guide dans les moments de notre histoire qui sont marqués par l’ambiguïté ou l’incertitude.

Peut-être vivrons-nous un tel moment le 20 septembre prochain ? Pour l’instant, nul ne peut prédire le comportement de l’électorat ni savoir comment sa volonté se manifestera cette fois.

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