Étonnamment, le sujet des Premières Nations n’a presque pas retenu l’attention depuis le début de la campagne électorale. Les programmes des principaux partis s’y penchent, avec une forte propension à traiter de réconciliation. Les découvertes récentes de dépouilles d’enfants autour d’anciens pensionnats autochtones et le débat sur la question du racisme systémique nous rappellent que les plaies prendront du temps à cicatriser. Mais au-delà du dialogue qu’il faut promouvoir, il existe aussi des besoins tangibles au sein des communautés autochtones sur lequel il faut insister.

Je contraste la présente campagne avec celle de 2005-2006 – Stephen Harper et Paul Martin débattaient régulièrement au sujet des accords de Kelowna qu’avaient signés le gouvernement libéral et ceux des provinces et territoires. Ces accords – qui n’avaient pas encore force de loi à la dissolution du Parlement – visaient essentiellement à améliorer les conditions de vie des peuples autochtones. Les libéraux et les conservateurs n’avaient pas la même approche pour traiter la problématique, mais au moins les électeurs étaient informés sur les enjeux. Une fois au pouvoir, les conservateurs ont préféré d’autres mesures à celles de Kelowna et ont aussi confirmé un versement de 2,2 milliards de dollars aux Premières Nations en guise de règlement pour les abus soufferts par les enfants dans les pensionnats autochtones.

Comme beaucoup de Canadiens, j’ai grandi à l’écart de la réalité des peuples autochtones. Mon seul repère était Max Gros-Louis, grand chef de la nation huronne-wendat. Personnage coloré et sympathique, je le voyais au match de ses Nordiques adorés. Mais que savais-je sur les conditions de vie et l’histoire des siens – bien peu, je l’admets. Plus tard, fort heureusement, des hommes comme le regretté Jim Prentice, à qui M. Harper avait confié les affaires autochtones dans son premier gouvernement, ont fait mon éducation. M. Prentice avait une grande sensibilité pour les peuples autochtones et connaissait leurs réalités aussi bien que celles de ses concitoyens de Calgary.

Le numéro de dimanche dernier du New York Times renfermait un très long article sur les préjudices que subissent les peuples autochtones au Canada. Le journaliste Dan Bilefsky écrivait « … ils habitent dans des réserves éloignées avec un accès inadéquat à l’eau potable, aux soins de santé et à des services d’urgence ». Bien chanceux qu’il n’ait pas ironisé sur un des engagements des conservateurs de reconnaître que l’eau potable salubre est un droit humain fondamental.

Comment expliquer qu’en 2021, au Canada, pays membre du G7, un grand parti national doit insister sur l’importance de l’eau potable salubre ?

Pour comprendre, il suffit de parcourir le rapport de février 2021 de la vérificatrice générale du Canada, Karen Hogan. Elle consacre un chapitre entier aux incuries de Services aux Autochtones Canada dans le dossier de l’eau potable. Promesses rompues, absence de planification, sous-investissement criant dans le réseau d’alimentation en eau – la liste d’impairs choque. Parmi les éléments impardonnables, on apprend que la formule de financement pour les infrastructures n’a pas changé depuis 1987 – les sommes requises pour l’entretien des ouvrages sont nettement insuffisantes. Un peu comme si on vous fournissait une maison neuve sans porte ni fenêtre.

Quinze ans après les débats Harper-Martin sur les accords de Kelowna, quelle désolation de constater l’absence de progrès. Durant cette période, dois-je le rappeler à ceux qui feront porter le bonnet d’âne aux conservateurs, les libéraux auront gouverné pendant les six dernières années avec un premier ministre qui faisait toujours preuve d’une grande empathie pour les Premières Nations.

Ce sont des centaines de milliards en infrastructure que nos gouvernements partout au pays ont investis depuis ces 15 ans (des routes, de ponts, des usines de filtration d’eau justement…). On a réussi à se donner un nouveau pont Champlain… en quatre ans ! On aura un Réseau express métropolitain (sinon deux) d’ici quelques années. Et on n’arrive pas à construire et entretenir des réseaux d’alimentation d’eau dans des dizaines de communautés autochtones ?

Les libéraux et néo-démocrates ont coiffé du titre « Réconciliation » les éléments de leurs programmes touchant les Premières Nations. Personne ne doute de l’importance de rebâtir les liens avec les peuples autochtones. Mais pour se réconcilier, ne faut-il pas aussi se respecter ? Et comment se respecter quand une des parties néglige systématiquement de contribuer des équipements et des ressources nécessaires ?

Durant des arrêts de campagne, les politiciens favorisent des décors enchanteurs. Même lorsqu’il s’agit de critiquer une politique gouvernementale, on s’offre habituellement un tableau agréable. Ce n’est pas en masquant la négligence des dernières décennies envers les peuples autochtones qu’on gagnera leur respect. Ils méritent des conditions de vie à l’image de ceux qui prétendent vouloir se réconcilier.

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