Un mois s’est déjà écoulé depuis la publication d’une lettre d’excuses de Geoff Molson en réaction aux nombreuses critiques légitimes suscitées par le repêchage de Logan Mailloux par le Canadien.

Depuis, c’est silence radio sur cette affaire. Une affaire au cœur de laquelle il y a une victime d’un crime à caractère sexuel. C’est bien de cela qu’il s’agit : un crime et une victime de crime. S’il y a une chose positive que la lettre d’excuses de M. Molson aura faite, c’est la démonstration du manque de connaissances et de vocabulaire au sein des dirigeants de notre collectivité pour parler des personnes victimes de crimes sexuels et des nombreux obstacles auxquels elles font face.

J’ai été violée et agressée sexuellement à l’âge de 15 ans, alors que j’étais sous contention dans un lit d’hôpital. Je porte toujours les séquelles psychologiques de mon agression : dépression majeure et choc post-traumatique. Obtenir réparation coûte cher. Je prends aujourd’hui la parole pour nommer les choses telles qu’elles sont afin de contribuer à mieux expliquer ce que vit aujourd’hui une victime d’agression sexuelle. Comment réparer une âme déchiquetée à la tronçonneuse ? On ne guérit pas d’un viol, mais on peut cheminer vers une certaine réparation, et c’est là qu’il faut unir nos forces pour aider les victimes. Elles doivent être au cœur de nos réflexions et de nos actions.

M. Molson a choisi de parler d’un « grave malaise » causé par la « transgression » du jeune homme. Sans vouloir reprendre ici tous les arguments énoncés avec force et justesse par Mathieu Laflamme dans cette section le 28 juillet dernier1, dans le contexte des faramineux moyens qui seront mis à la disposition de Logan Mailloux pour reprendre le droit chemin, je sais, par cruelle expérience, que la victime, elle, sera laissée seule. Elle devra, comme j’ai dû le faire, seule, déployer des efforts surhumains pour obtenir des soins médicaux et un soutien financier adéquat à travers les dédales de multiples organisations qui opèrent en silo. Sans ces soins, il est impossible comme victime de s’engager vers la réparation. J’y ai consacré les six dernières années de ma vie et je continue à y travailler avec force tous les jours.

Mon médecin de famille qui me traite depuis plus de 20 ans, ma psychothérapeute que je rencontre hebdomadairement depuis six ans, mon psychiatre qui a réalisé une expertise détaillée sur mon état ont tous sans exception reconnu le même diagnostic médical me concernant. Alors, pourquoi le programme d’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) persiste encore à ce jour à contester mon état ? Pourquoi ma demande initiale a-t-elle été rejetée d’emblée sans réelle enquête ? Il est totalement inacceptable que des victimes doivent passer par la contestation d’une décision administrative afin d’obtenir le moindre soutien de notre gouvernement.

Pourquoi des médecins de cette organisation qui ne m’ont jamais rencontrée talonnent-ils tous ces experts qui me traitent de près et qui connaissent mon histoire ? Combien de fois encore devrai-je revivre mon traumatisme pour obtenir de l’aide qui me serait aujourd’hui si nécessaire ?

Tragiquement, mon cas n’est pas unique semble-t-il. Il est plutôt la norme. L’IVAC devrait apporter des solutions concrètes alors qu’elle cause beaucoup plus de problèmes pour les victimes. J’ai survécu à mon agression, je ne devrais pas avoir à subir l’inquisition de l’IVAC et de son jargon administratif déshumanisant.

On doit se battre pour obtenir des soins coûteux. Le système actuel appauvrit les victimes, surtout celles sans revenus comme moi ou ayant perdu leur emploi par peur de représailles de leur agresseur en situation d’autorité. Pour faire valoir nos droits à travers tous les dédales administratifs que sont Retraite Québec, Solidarité sociale et bien d’autres, il faut recourir aux services professionnels d’un avocat, sans quoi rien n’est possible. Les frais au privé sont exorbitants. Les victimes ne devraient pas avoir à subir un stress financier indu après un tel traumatisme. Si M. Molson avait connu la réalité financière avec laquelle doivent composer les victimes, il aurait parlé de crime et se serait gardé une petite gêne en parlant des efforts et des moyens qui seront mis de l’avant pour soutenir sa recrue.

Le système doit être réformé en profondeur. Il faut placer la victime au centre de l’intervention, et non plus la laisser en périphérie. Nous ne devons pas uniquement être informées des décisions, mais plutôt consultées tout au long du processus. On m’a privée de ma liberté d’être suffisamment longtemps, et c’est assez. Les victimes doivent être consultées, soignées, accompagnées et comprises par le système, ce qui n’est malheureusement pas le cas malgré la bonne volonté de beaucoup d’intervenants.

Il faut s’interroger sur la cohérence des soins apportés aux victimes de violences sexuelles. Centraliser les ressources au sein d’une seule et unique institution est une solution qui doit être envisagée par le gouvernement. L’annonce de la création des tribunaux spécialisés doit être saluée, mais il faut pousser plus loin la réforme pour véritablement donner aux victimes tout le soutien qu’elles méritent sans devoir se battre avec un système trop souvent incompréhensible. Lorsque j’ai dû faire face à mon viol et à mon agression sexuelle, c’est d’un tel système que j’aurais eu besoin et qui m’aurait permis de cheminer davantage vers ma réparation. Le système actuel ne répare pas, il brise et parfois déchiquette aussi.

1 Lisez le texte de Mathieu Laflamme Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion