Un gouvernement élu minoritaire qui rêve d’une majorité, ça donne un grand pouvoir de négociation. Sans le formuler directement, c’est ce que François Legault voulait dire à la population quand il a présenté sa liste d’épicerie du 26 août. 

Pour le Québec, un gouvernement fédéral minoritaire, surveillé de près par des partis de l’opposition, est aussi le meilleur rempart contre les élans assimilationnistes d’une certaine élite médiatique, intellectuelle et politique de l’anglophonie canadienne.

Alors, en ces temps où le nationalisme d’ici se métamorphose, s’adapte et se cherche, opter pour des gouvernements minoritaires équivaut à garder son compte Tinder ouvert pour ne jamais paraître acquis aux yeux des prétendants au trône.

Comme observateur venu d’ailleurs, permettez-moi de dire que le Québec demeure une singularité sociale et économique que le Canada gagnerait à protéger très précieusement.

La preuve, une bonne partie du pilier central de la plateforme des libéraux dans la présente campagne électorale a été pensée ou initiée au Québec.

Quelle est la nation canadienne qui a imposé en premier la taxe sur le carbone encore au centre du programme libéral pendant cette campagne ? Le Québec.

Quelle est la nation qui a pensé le programme de garderies au centre de la plateforme libérale pendant cette campagne ? Le Québec.

Quelle est la nation qui a pensé l’aide médicale à mourir que les libéraux instrumentalisent pour diaboliser les conservateurs ? Le Québec.

Quelle est la nation qui a pensé cette augmentation du salaire des préposées aux bénéficiaires qui est maintenant au centre du programme libéral pendant cette campagne ? Le Québec.

Toutes ces initiatives, qui ont été menées à terme par des élus québécois et payées avec nos impôts, sont récupérées par Justin Trudeau, qui les présente désormais comme les grandes idées de son programme. Voilà pourquoi je pense que le Canada gagnerait à protéger l’exception québécoise, qui le tire indéniablement vers des horizons plus progressistes. En attendant ce réveil, qui relève encore d’un rêve pieux, je suis de ceux qui pensent aussi que le salut de la nation québécoise passe par des gouvernements minoritaires. Autrement dit, on peut voter à gauche, à droite ou au centre. Ce qui importe, c’est de s’arranger pour ne jamais donner tous les leviers du pouvoir à un seul parti quand on est considéré comme l’enfant terrible de la fédération.

D’ailleurs, c’est lorsqu’une campagne électorale fédérale commence qu’on réalise à quel point le Québec est une sorte d’étrangeté qui dérange à gauche comme à droite.

Permettez-moi d’utiliser une image pas très poétique pour mieux représenter ma pensée. À gauche comme à droite, l’exception québécoise apparaît comme un acrochordon, cette petite excroissance cutanée, bénigne, mais gossante. La gauche multiculturaliste, du haut de sa supériorité morale ostentatoire, regarde cette excroissance comme une aberration dont il faut se débarrasser. Cela nuit au beau paysage canadien, uniforme, lisse et postnational ! Qu’on lui applique une goutte d’azote liquide au plus sacrant ! Autrement dit, « yes » aux jolies taches de rousseur et aux grains de beauté, mais « no » à cet appendice francophone qui revendique le droit d’exister pleinement en tant qu’organe fondateur.

La droite canadienne, elle, a une autre façon de composer avec l’acrochordon. Elle sait qu’il existe, elle sait qu’elle ne l’aime pas vraiment, mais elle réussit à l’accepter en choisissant de l’ignorer. De toute façon, c’est à se demander si la droite canadienne arrivera réellement un jour à faire peau neuve. En résumé, il y a à droite ces prêcheurs du conservatisme social carburant au pétrole, et à gauche, les chantres de l’idéologie multiculturaliste pour qui laïcité et interculturalité sont des projets dignes des nationalistes identitaires d’extrême droite. Et chacune de ces positions se marie très mal avec la vision sociétale dominante chez la majorité francophone d’ici.

Face à ces deux principales visions de la politique canadienne, voter pour un gouvernement majoritaire ne peut que réserver de potentielles rétroactions négatives au Québec. Voilà pourquoi, dans ce pays aussi balkanisé socialement et économiquement, on gagnerait à ne jamais confier la totalité du pouvoir à un seul parti.

Autrement dit, mieux vaut céder le volant et garder une main sur le « break à bras », au cas où le chauffeur conduirait toute croche ou qu’il manquerait le virage vert !

L’histoire nous a montré qu’à force de suivre les sacro-saintes lignes de parti, même les députés élus au Québec refusent de défendre les intérêts de leurs électeurs. Il faudrait peut-être leur rappeler que la ligne de parti est pointillée et qu’il est parfois préférable de la dépasser plutôt que de continuer de rouler en pépère et faire manquer le bateau à ces électeurs. J’ai un exemple récent en tête. Quand le Bloc québécois a présenté la motion reconnaissant le droit du Québec, comme nation française, de modifier librement la partie de la Constitution qui le concerne, combien de députés du gouvernement Trudeau élus au Québec ont refusé de soutenir cette motion ? Neuf se sont abstenus de voter. Voilà pourquoi, en ces temps où la pression médiatique dicte bien plus l’action et les décisions politiques que tout le reste, mieux vaut avoir des bergers hurleurs pour ne pas se faire bouffer par les loups qui pactisent dans la pénombre. Gageons d’ailleurs que si les renégociations avaient été faites sous un gouvernement minoritaire, le Québec n’aurait pas été l’agneau du sacrifice offert aux Américains par le gouvernement Trudeau dans le nouveau Partenariat transpacifique.

Les gouvernements minoritaires ont le mérite de forcer la collaboration et la recherche d’un certain consensus qui ramène tout le monde dans la zone centrale du spectre des appartenances politiques. Chose que Justin Trudeau déteste visiblement, car depuis le début de son deuxième mandat, l’obligation de collaborer avec les oppositions semble avoir assombri ses voies ensoleillées et érodé son plaisir de gouverner. Pourtant, c’est ce même Justin Trudeau qui nous avait promis, la main sur le cœur, de changer le mode de scrutin pour améliorer la représentativité au Parlement. Qu’a-t-il fait depuis ? Après sa majorité, il a instrumentalisé la jeune et inexpérimentée Maryam Monsef pour organiser des simulacres de consultations avant d’enterrer cette promesse majeure.

J’espère que nous entrons dans une époque de gouvernements minoritaires à répétition. Un temps nouveau qui forcera les partis à travailler ensemble pour trouver des solutions plus représentatives de la diversité des visions sociétales et économiques du Canada. La politique étant une histoire de séduction, le Québec pourra donc toujours garder son compte Tinder ouvert pour pouvoir swiper à droite ou à gauche selon ses intérêts.

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