En décembre 2010, je me suis tenue sur le trottoir en face de l’ambassade de Tunisie à Ottawa. Ni les températures glaciales de l’hiver ottavien ni la peur du régime de l’époque ne nous ont dissuadés, une poignée de Canadiens d’origine tunisienne, d’afficher notre solidarité avec le mouvement de contestation populaire qui a pris le gouvernement de Ben Ali par surprise.

C’était le début de ce que nous appelons aujourd’hui le Printemps arabe, né du fin fond de la Tunisie.

Nos manifestations de solidarité se sont vite transformées en des marches pour soutenir la démocratie tunisienne naissante. Au mois de janvier 2011, nous étions une centaine à marcher de la colline parlementaire jusqu’au Monument des droits de la personne en passant par les bureaux du premier ministre, pour démontrer notre soutien à ce changement que nous chantions tous en arabe « Le peuple veut la chute du système », devenu depuis le célèbre slogan, scandé par les foules dans plusieurs villes arabes.

Le système dont il était question est le système politique, c’est-à-dire les dictatures sous lesquelles nous avons tous vécu : un régime répressif où les arrestations sommaires, le népotisme, la corruption et les atteintes aux libertés civiles étaient monnaie courante.

Heureusement, une nouvelle ère est née, la démocratie s’est mise en marche.

Toutefois, le 25 juillet dernier, le président, Kaïs Saïed, élu en 2019, a décidé d’y mettre une halte. Il a gelé les travaux du Parlement tunisien, démis le premier ministre de ses fonctions et s’est octroyé le pouvoir exécutif.

Ce fut un tremblement de terre dont les ondes de choc se font encore sentir. En quelques heures, de nombreux Tunisiens sont descendus dans les rues pour exprimer leur accord avec cette décision que certains qualifient de courageuse ou de « coup d’éclat », alors que d’autres la décrivent comme un « coup de force » ou carrément un « coup d’État ».

Mais comment et pourquoi la Tunisie en est arrivée là ?

La crise sanitaire de la COVID-19 est la goutte qui a fait déborder le vase. La pandémie a fait des ravages dans ce pays qui est devenu malheureusement le pays le plus endeuillé au monde. Une mauvaise gestion de la crise sanitaire, une infrastructure sanitaire précaire et des politiciens incompétents. Mais c’est surtout une crise de confiance entre une population qui a perdu une grande partie de son pouvoir d’achat et une classe politique qui n’a cessé depuis les balbutiements de cette expérience démocratique de jouer aux cartes politiques tout en oubliant sa raison d’être primordiale : travailler pour le bien de ceux qui ont voté pour eux et améliorer le sort des plus démunis.

Depuis la crise financière mondiale de 2008, la Tunisie n’a pas pu se remettre sur ses pieds. Une économie dominée par un tourisme archaïque, une industrie minière laissée aux aléas des marchés mondiaux et une administration bureaucratique qui n’a pas pu se moderniser. Bref, une économie sclérosée déjà chancelante sous le régime de Ben Ali mais qui a connu sa mise à mort par les guerres intestines entre Ennahda, le parti d’inspiration islamiste, et les autres partis et la corruption qui a gangrenée tous les secteurs économiques.

Un système électoral et politique hybride, incompris et de plus en plus méprisé par la population en général. Depuis l’indépendance en 1956 jusqu’à la création d’une nouvelle Constitution en 2014 et l’émergence d’un système plutôt parlementaire, la Tunisie a été gouvernée par un système présidentiel : « l’homme fort de Carthage ».

Dans l’imaginaire populaire, le « sauveur » de la nation est toujours cet homme, Monsieur le Président, qui prend les « bonnes » décisions pour sortir « son peuple » du gouffre. Très rares étaient les fois où ce sont les institutions qui ont pris le dessus sur ces hommes forts de Carthage.

En 2010, c’est le peuple qui est sorti dans les rues pour prendre le dessus.

Le 25 juillet 2021, c’est un homme de Carthage qui a tenté de reprendre sa place au sein de l’histoire de ce pays en s’appuyant sur une population à bout de patience. Mais cette fois-ci en faisant fi de ces mêmes institutions qui l’ont porté au pouvoir.

En 2020, lors d’un voyage en Tunisie, je suis allée rendre visite à un cousin de mon père. Un homme de grande culture. Je voulais connaître son opinion sur la situation politique du pays. Je m’attendais à une longue diatribe, à ma grande surprise, il m’a brièvement répondu : « La Tunisie s’en sortira. Nous nous en sommes toujours sortis depuis Hamilcar jusqu’à aujourd’hui ! »

En faisant référence à cet ancien général militaire carthaginois du deuxième siècle avant Jésus-Christ, mon cousin paternel me rappelait, à juste titre, qu’au-delà des hommes forts et de leur visée hégémonique, c’est la résilience des populations qui triomphera.

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