En réponse à la chronique de Patrick Lagacé, « Ressuscitons le mot rouli-roulant », publiée le 8 août

Cher Patrick, ta chronique constitue une belle occasion de faire le point après l’arrivée historique du skateboard aux Jeux olympiques. Le mot « rouli-roulant » que tu implores est une musique à mes oreilles, qui me fait cependant penser à un jouet d’enfant. Je me garderai de m’y référer par respect envers les athlètes qui ont perçu l’arrivée du skateboard aux Olympiques comme une occasion de faire le saut dans la cour des grands. Je l’appellerai par son petit nom, le skate, puisque nous sommes amoureux depuis 28 ans.

Lisez « Ressuscitons le mot rouli-roulant »

Je rêvais de l’entrée olympique du skate dès 1998 quand la planche à neige y est arrivée. À cette époque, je fréquentais les circuits internationaux de planche à roulettes. Maintenant trois fois plus âgée que la moyenne du premier podium olympique féminin – le plus jeune de tous les temps –, j’ai adopté une posture d’observatrice. Mes compétiteurs de l’époque ont siégé comme juges, tandis que j’ai eu le privilège de faire entrer ce sport sur vos petits écrans, accompagnée de l’énergique et compétente journaliste sportive Geneviève Tardif.

Le Comité olympique international (CIO) a officiellement présenté le street et le park dans ses documents francophones. J’ai plutôt référé à ces deux disciplines par épreuve de rue et parc (pas trop de heurts à franciser ces termes-là).

Né en Californie, le skate a une nomenclature – extrêmement complexe et diversifiée – qui relève de la langue de Shakespeare. On garde un certain attachement au vocabulaire d’origine dans le sport.

Le karaté, qui a aussi fait son entrée aux Olympiques de Tokyo, aurait pu être nommé « la voie de la main et du vide » selon son étymologie japonaise, mais on s’est contenté d’un accent aigu pour le franciser. Certains termes en skate n’ont pas d’équivalent français. C’est le cas du cab nommé en l’honneur du vétéran Steve Caballero. On s’élance dans cette rotation aérienne de 360° à reculons – ou en fakie comme le comprendront les skaters. D’autres termes peuvent se traduire, même si leur équivalent dans la langue de Molière fait sourire : le backside tailslide revert devient glissé sur queue retourné par en arrière…

Mon métier m’amène à vulgariser plus de science que de sport. C’est mon aptitude à simplifier des éléments complexes pour les faire comprendre à un large public qui deviendrait mon apport à ces premiers Jeux olympiques. Mais j’étais très nerveuse devant ce défi de taille.

D’une part, j’allais devoir décrypter des mouvements complexes qui s’enchaînent rapidement, tout en étant assujettie aux angles de caméras rediffusés depuis le Japon. D’autre part, j’avais le devoir de garder un brin d’authenticité, de m’assurer de l’exactitude scientifique de mes propos, tout en traduisant des figures complexes en termes compréhensibles. Après tout, c’est la première présentation aux masses adeptes d’olympisme pour ce sport jadis underground (ou sous-culture traditionnellement réfractaire à la commercialisation selon la maîtrise de l’olympienne Annie Guglia) 1.

Lors de nos pratiques d’animation, le louangé René Pothier m’a rassurée. Oui, il y a des termes qu’il vaut mieux évoquer dans leur langue d’origine, mais on peut graduellement intégrer des équivalents francophones qui se populariseront avec le temps, tel le birdie devenu oiselet au fil des saisons de golf.

Des commentateurs innus décrivant des matchs de hockey pour la radio communautaire de Uashat-Maliotenam s’exclamaient : « En montagnais, les mots sont longs. » 2 Le synthétique lancer de pénalité devient minakanu tshetshi kutshipanitat tshetshi pituteik usham anuenimakannua nenua kueshte kametueshiniti. Le français aussi est plus long à articuler que l’anglais. Avec des essais de 45 secondes en skate, je n’avais pas le temps d’allonger toute la nomenclature sans perdre le fil de l’action.

Dans les segments écourtés des finales télédiffusées, on entend certainement plusieurs termes originaux en anglais. Si vous aviez écouté les quelque 20 heures de description faite en direct sur le web, vous auriez eu droit à tout un dictionnaire des synonymes pour franciser les termes. Le glissé sur la planche de face, pour frontside boardslide, est une manœuvre dans laquelle le bois au centre de la planche frotte sur le rail (dit avec un accent québécois). Le cinquante-cinquante de dos a remplacé backside fifty-fifty grind, une figure où les deux essieux métalliques meulent la margelle de ciment qui ceinture la piscine.

Évidemment, on ne peut pas plaire à tout le monde. Les skaters old-school ont dû avoir les oreilles en chou-fleur avec mes néologismes. La communauté du skate valorise la diversité des styles et des points de vue, tout comme l’arc-en-ciel des genres et des ethnies qui la compose. Nos efforts de francisation ont été louangés, du Soleil3 à Radio X4, en passant par différents gazouillis.

Oui, j’ai utilisé des mots anglais en ondes à la télé d’État francophone. Shame on me ? Je vois plutôt ça comme un biologiste qui nomme une espèce en latin, afin d’éviter que son identité précise ne se perde dans des régionalismes.

S’il n’y a qu’un seul mot de vocabulaire que j’aimerais que vous adoptiez, ce serait la prise du poisson qui pue, lorsque la main arrière enveloppe la jambe près de la queue planche afin que les doigts s’en saisissent côté talons, en substitution au très brièvement articulé stalefish. Je pourrais l’intégrer dans un ouvrage de référence systématique avant les Jeux de Paris en 2024 en espérant que Radio-Canada m’ait pardonné d’ici là mes quelques anglicismes. Secrètement, j’espérais ne pas me faire prendre dans le #RouliRoulantGate. Mais je ne me casserai pas trop la tête avec la critique : je porte toujours mon casque en skate. Je suis habituée à me relever quand je trébuche parce que ça fait partie du sport.

1. Consultez le mémoire de maîtrise d’Annie Guglia 2. Lisez un article sur la description d’un match de hockey en innu 3. Lisez un article du Soleil sur la description du skateboard 4. Écoutez Louise Hénault-Ethier en entrevue à Radio X Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion