C’est dimanche. J’ai envie d’être léger. Avez-vous envie de légèreté ? Oui, vous en avez envie.

Avez-vous regardé le rouli-roulant, aux Olympiques ?

Je vous entends d’ici…

« Ça se dit pas, “rouli-roulant”, monsieur Lagacé. »

Je sais, ça ne se dit plus. Et c’est tragique. « Rouli-roulant » est tellement plus musical que « planche à roulettes » ou « skateboard ». On ne parle pas assez de ces mots tombés en désuétude. J’entends rouli-roulant, j’entends les échos de mon enfance.

Des fois, je dis microsillon, aussi, pour parler d’un album de musique. Bête puante, pour parler d’une mouffette. Quand j’étais enfant, on avait peur des maniaques. Il y en avait pas mal dans Allô Police. On va faire un tour de machine ?

Concubine, pour parler de la blonde d’un gars. Mais conjointe, à peu près jamais, sachez-le, je déteste ce mot : la poésie de bardes de formulaires du ministère du Revenu, très peu pour moi.

Le rouli-roulant, donc. Je me surprends à regarder les Olympiques d’été, ça faisait des années que j’avais décroché. J’y reviens l’été où il n’y a personne dans les stades. La Néerlandaise au 1500 m qui triomphe après une chute. Les deux sauteurs qui conspirent pour une égalité en première place. L’Arrêt (la majuscule est voulue) de Stephanie Labbé au soccer.

Beaucoup de beaux moments.

René Pothier, à la description des compétitions de natation, est tout simplement dans une classe à part. Tout y est, quand vous décrivez la natation, monsieur Pothier : l’émotion sans l’exubérance, le mot juste, l’érudition sans la fatuité des champions de Génies en herbe (j’exclus ici un de mes patrons de La Presse), la passion ultra-communicative…

Pour un sport que personne, ou presque, ne connaît : chapeau.

Oui, quand la voix de René Pothier arrivait dans mon salon, pouf, mes oreilles levaient comme celles d’un labrador qui entend la porte de la dépense (un autre mot oublié que j’aime utiliser) qui s’ouvre, prélude à la moulée qui va tomber dans son bol…

Je cessais alors de me chicaner sur Twitter, je m’asseyais sur le bout du divan et je suivais les courses décrites par M. Pothier et son fidèle compagnon, M. Huot, j’étais soudainement 100 % dedans…

Sauf pour les courses de 1500 m. On a le temps de faire cuire un dindon sauvage pendant ces interminables 1500 m mouillés, y compris le temps où il faut – tapi dans les herbes hautes – traquer ledit dindon, réputé plus rapide qu’un sprinteur de 100 m selon un ami chasseur, appelons-le Léo.

À la description, deux morceaux de robot (faut avoir mon âge pour comprendre) à Gilles Gagnon, qui officie au volleyball de plage féminin. Sa force, ce sont les métaphores. J’aime ça, moi, les références au Bloc de l’Est (voir la dernière parenthèse), dans un match de volley endiablé.

On l’imagine, Gilles Gagnon, dire le plus naturellement du monde que l’équipe du Brésil a été grappée (de grapper, c’est-à-dire réduire la garance à l’état de poudre) par le duo américain. Je ne déteste pas qu’un commentateur sportif me force à ouvrir Le Petit Robert.

Comment ? Si je m’intéresse au volleyball de plage féminin ?

Uniquement pour les descriptions de Gilles Gagnon.

Mais revenons au rouli-roulant, si vous le permettez. C’est la première fois que ce joli sport était aux JO. Le résultat est mi-figue, mi-pastèque, si vous me passez l’expression consacrée. Ce sport pourtant si spectaculaire, dans les épreuves de « street », souffrait d’une pandémie (oups) de chutes de la part des athlètes…

Genre, ils tombaient tous. Gossant.

Mais moins gossant que le lexique in English des deux animatrices, pourtant impeccablement enthousiastes, qui aiment visiblement le sport et qui voulaient nous le faire aimer aussi.

Frontside tailslide, goofy, backside, frontside flip

À un moment donné je me suis demandé : est-on à la CBC ?

Les Québécois ont imposé voltigeur, coup de circuit, marbre, arrêt-court, receveur et amorti pour le baseball. On devrait pouvoir imposer pied droit devant, côté talons, côté orteils pour le rouli-roulant, non ? Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française a quelques bonnes suggestions. Et pour skatepark, je suis sûr qu’il y a un équivalent français.

Bon, on s’égare. On parlait du mot rouli-roulant. Je sais, ça ne passera pas, c’est mort et enterré, ça date de l’époque de mon père, rouli-roulant.

Mais dites « rouli-roulant » à voix haute, vous allez voir, c’est comme déguster une fraise fraîchement cueillie. Pourquoi ne pas souhaiter de toutes ses forces le retour du mot « rouli-roulant » ?

J’ai écrit le mot dindon plus haut et à quoi ça me fait penser, donc, ça me chicote depuis tantôt… J’ai écrit dindon et une fenêtre s’est ouverte dans mon cerveau, à quoi ça me fait penser, dindon… ?

Ah oui ! J’ai trouvé !

Y a un gars à Québec qui se fait appeler Gerry Pizza. C’est un faire-valoir d’un animateur de cirque radiophonique. Donc, quand j’ai déconné sur Twitter, quand je suis parti en croisade pour que Radio-Canada remplace « planche à roulettes » par « rouli-roulant » dans sa couverture du skate, M. Pizza a « fait ses recherches » et il a « découvert » que j’avais déjà utilisé le mot « planche » dans une chronique et non pas « rouli-roulant »…

Il pensait avoir découvert une contradiction hypocrite.

Il pensait que j’étais… sérieux.

Gerry, comment je te dirais bien ça…

C’est comme si je « découvrais » que ton nom de famille n’est pas vraiment « Pizza ».

Mais c’est le Grand Schisme de l’époque, n’est-ce pas : d’un bord, ceux qui comprennent le sarcasme, et de l’autre, loin de l’autre côté d’un canyon infranchissable, ceux qui n’y voient que du feu. Notons que les désinformateurs sont surreprésentés dans l’incompréhension du sarcasme et de la légèreté. Cette incompréhension est une forme de vulgarité dont ils sont les champions olympiques incontestés.

Bon, je vais aller faire quelques longueurs de marinière dans mon bain, tout le monde.

Lundi, retour aux chroniques sérieuses, promis.