Le mérite des tristes moments est qu’ils induisent parfois de meilleurs temps. L’opportunité surgit, comme par enchantement, à l’Université d’Ottawa lorsque la professeure Verushka Lieutenant-Duval, dans le cadre de son enseignement, prononça le mot qui commence par « n ». Son objectif était alors d’expliquer que cette insulte raciale avait servi historiquement de point d’ancrage aux militants afro-américains dans leurs revendications sociales.

Il n’en fallait pas davantage pour faire entrer en transe un certain professeur connu pour sa francophobie et un groupe d’étudiants qui, à l’évidence, doivent poursuivre leurs études. Quant à la professeure précitée, elle fut suspendue un temps de son emploi par un rectorat dépassé par les circonstances. C’est dans de tels moments que les gens révèlent le meilleur ou le pire d’eux-mêmes.

Cet évènement, récupéré par des journalistes, devint une affaire d’État.

François Legault sauta sur l’occasion pour réaffirmer la nécessité de protéger la liberté universitaire, faisant de celle-ci la bougie d’allumage vers une liberté plus large, celle de la société dans son ensemble.

Après tout, le minimum attendu d’un intellectuel, bardé de diplômes et doté d’une sécurité d’emploi, est qu’il puisse exercer son jugement, s’il en a un, sans crainte de représailles.

Dans les suites du Rapport sur l’Université québécoise du futur déposé en novembre 2020, François Legault a lancé la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire sous la présidence d’Alexandre Cloutier, actuellement vice-recteur de l’UQAC. C’était une bonne idée pour quelques raisons. D’abord la liberté est une denrée rare dans le monde. Elle est présente en Amérique du Nord et en Europe occidentale, mais la trouver ailleurs est une mission quasi impossible. Ensuite, la liberté universitaire est un concept qui s’inscrit dans un cadre plus large, celui d’une société libre. La protection de la liberté exige parfois du courage. Au XXsiècle, deux guerres mondiales furent nécessaires pour la conserver.

Mais cet élan en faveur de la liberté n’est pas récent. Le gouvernement de Robert Bourassa promulgua la Charte des droits et libertés de la personne en juin 1975. Son article 3 affirme que « toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles que la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression… ». La Charte énumère toutefois des libertés dont la portée est variable. Par exemple, liberté de religion et laïcité sont, dans une certaine mesure, contradictoires. Le professeur français décapité en 2020 pour avoir montré, à des fins d’apprentissage, des caricatures de Mahomet, illustre une situation glaciale. Affirmer la liberté individuelle est une chose, la pratiquer en est une autre. François Legault pourra réaffirmer les droits fondamentaux autant qu’il voudra, il ne changera pas les croyances sacralisées, qu’elles soient religieuses ou non.

Ce qui précède aboutit un jour ou l’autre dans la transmission de la connaissance notamment à l’université et ne va pas sans paradoxe. L’affirmation nécessaire des droits individuels a curieusement favorisé une montée de la censure.

Jacques Parizeau a provoqué une crise sociale le jour du référendum de 1995 en attribuant une part de son résultat au vote ethnique. En matière de censure, la cerise sur le gâteau est sans doute le vote unanime de l’Assemblée nationale du Québec, le 14 décembre 2000, contre le journaliste Yves Michaud. Ce dernier avait alors déclaré que le peuple juif n’était pas le seul à avoir souffert dans l’histoire du monde. Rien d’illégal dans le genre de propos précités, mais ils deviennent imprononçables à cause de la pression sociale, qu’elle soit ou non marginale.

Montée de la censure

Depuis 50 ans, la censure n’a fait qu’augmenter en amplitude et en intensité. Le puritanisme des années 1900-1950 n’est rien par rapport à la censure de nos jours. Chaque situation critique peut apporter son lot de censure. Par exemple, depuis l’année 2014, une nouvelle sensibilité sociale, fouettée par les réseaux sociaux, a fait naître le mouvement « woke » aux États-Unis à la suite des manifestations sur le thème Black Lives Matter. Ce mouvement, nonobstant sa pertinence, a réduit le potentiel d’expression, écrite ou verbale, traitant des Noirs vers tout autre groupe social considéré marginalisé.

L’affirmation de la liberté individuelle limite simultanément le potentiel d’expression sur les sujets devenus interdits de discrimination. Or lesdits facteurs, prévus à l’article 10 de la Charte précitée, allant de l’état civil aux croyances politiques en passant par l’origine ethnique, par leur diversité, couvrent l’essentiel de l’existence. Curieusement, plus on affirme la liberté individuelle, plus la censure s’installe.

Mais la liberté, qu’elle soit ou non universitaire, mérite certainement qu’on s’y attarde. Le projet de la valoriser dépasse les cadres de l’université. Il devrait s’appliquer à toute institution éducative. Plus largement, la pratique de la liberté individuelle est une notion complexe aux conséquences contradictoires. C’est l’apologie de la liberté de parole dans un contexte social qui promeut le silence. Néanmoins, François Legault entend faire avancer cette liberté d’un pas en empruntant un corridor universitaire. C’est tout à son honneur !

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