Pour la première fois depuis la crise du saumon de 1981, un chef de la Nation mi'gmaq de Listuguj s’adresse à ses voisins du Québec.

La pêche au saumon a toujours fait partie de mon éducation. Quand j’étais enfant, j’aidais à nettoyer, éviscérer, écailler, peser… et tout ce qui pouvait aider mes cousins à la pêche au saumon. Ils m’ont appris à ravauder les filets et je me souviens d’avoir voulu un jour participer à cette tradition ; à bord du bateau, en remontant les filets, en les nettoyant moi-même ; en transmettant les enseignements de mon père, qui m’a appris à toujours donner la première prise aux aînés. C’était mon éducation. C’était tout simplement une partie de la vie que je tenais pour acquise.

Il y a 40 ans, ce mode de vie a été contesté ; un moment clé de notre histoire qui a bouleversé notre communauté avec des impacts durables. Imaginez des centaines de policiers agressifs en tenue antiémeute déferlant sur la communauté, soumettant les gens avec une force et une violence extrêmes ; saisissant tout ce qui a trait à la pêche et exigeant que notre peuple se plie à leur puissance. Hélicoptère volant au-dessus de nous. Les enfants sont ramenés de l’école en autobus et deviennent les témoins du chaos. Nos mères nous protégeaient dans le sous-sol de l’église et cuisinaient pour la communauté pendant que nos pères se tenaient aux premières lignes pour protéger notre peuple et notre mode de vie. Des barricades étaient installées, personne ne pouvait entrer ou sortir. C’était comme une zone de guerre. Notre « guerre du saumon ».

Des forces extérieures voulaient détruire notre mode de vie. Cette intervention a poussé notre peuple à agir comme il l’a toujours fait, en se rassemblant et en restant solidaire. Notre peuple a été soutenu par des chefs et des peuples autochtones de partout au Canada et d’ailleurs.

À ce jour, les cicatrices demeurent, mais notre détermination collective a forgé une résilience qui nous a permis non seulement de survivre, mais aussi de prospérer.

Au fil des ans, nous n’avons pas seulement repoussé et résisté, mais nous avons repris, renforcé et élargi notre compétence en matière de pêche. Nous sommes devenus un modèle pour les autres communautés autochtones de l’île de la Tortue. Notre chemin de guérison est encore long. Chemin où l’on trouve des sentiments de colère et du ressentiment, qui s’enflamment de temps en temps, quand nous sommes poussés.

Depuis 40 ans, un grand nombre de rapports comme ceux de la Commission royale sur les peuples autochtones, de la Commission vérité et réconciliation, de la commission Viens, de la Commission nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (dont un rapport complémentaire pour le Québec), entre autres, soulignent les inégalités et les problèmes systémiques auxquels font face les autochtones encore aujourd’hui.

Quarante ans plus tard, des actes violents et délibérés basés sur l’ethnicité continuent.

Quarante ans plus tard, nous continuons à demander le respect et la reconnaissance de nos droits.

Quarante ans plus tard, nous continuons à pêcher le saumon.

Quarante ans plus tard, nous sommes engagés à travailler à la guérison, afin de nous réconcilier avec ce qui nous est arrivé et la raison pour laquelle quelqu’un devait soumettre le peuple Mi’gmaq à une telle violence.

Quarante ans plus tard, nous gérons nos opérations de pêche multiespèces basées sur nos lois et nos plans de gestion ; surveillés par nos rangers et supervisés par nos chercheurs et biologistes afin d’assurer la durabilité des espèces.

Quarante ans sont passés et, sachant qu’il est impossible de changer le passé, nous gardons espoir que l’avenir soit façonné pour un meilleur lendemain, à condition de ne plus répéter les erreurs du passé.

Dans notre relation avec le peuple du Québec, il y a plusieurs chapitres d’écrits. Ensemble, il nous reste encore beaucoup d’autres chapitres à écrire sur la coexistence.

Il est très spécial de grandir et de vivre dans le territoire où nos ancêtres ont vécu et où ils ont voyagé. Ils ont pris soin de protéger le territoire en pensant aux générations futures par leurs décisions et leurs actions. Il est également spécial de reconnaître l’importance de la vigueur de notre vision du monde qui a modelé notre relation avec la création : ne jamais prendre plus que ce dont nous avons besoin, valoriser la réciprocité, toujours redonner en retour, partager et permettre à d’autres de bien vivre tout comme vous le faites, subvenir aux besoins de votre famille. Voilà les valeurs qui nous guident.

PHOTO FELIX ATENCIO-GONZALES, FOURNIE PAR L’AUTEUR

« Nous avons la responsabilité d’enseigner nos traditions, nos valeurs et nos pratiques aux nouvelles générations afin qu’elles continuent de pêcher en obéissant à nos lois », écrit l’auteur. Sur la photo : le Dr Fred Metallic, pêcheur, et sa fille Emma.

Nous allons continuer à pêcher et nous serons les derniers à quitter les rivières si la population de saumon est en danger. Nous avons la responsabilité d’enseigner nos traditions, nos valeurs et nos pratiques aux nouvelles générations afin qu’elles continuent de pêcher en obéissant à nos lois. Nous agissons en étant conscients de l’importance du saumon pour notre communauté, pour notre peuple, pour notre identité. Il est devenu un symbole de notre détermination.

Aujourd’hui, nous continuons de bâtir sur les bases établies au cours des ans et mon regard est porté vers les 40 prochaines années, tant dans notre communauté que dans nos relations avec nos voisins du Québec.

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