Au cours des dernières semaines, j’ai eu l’occasion de partager sur différentes tribunes les visées de la Nation W8banaki (Abénakise) au sujet de l’affichage de toponymes en aln8ba8dwaw8gan (langue abénakise).

Au sein des ordres gouvernementaux, des entreprises ou des organismes, il y a cette idée répandue qu’il est complexe d’interagir avec les peuples autochtones, qu’il faut se casser la tête pour gérer des requêtes inédites ne s’inscrivant pas dans les paramètres en place. Cette vision est dommageable, car cela fait en sorte d’ajouter des délais, de laisser des projets en plan, de faire interagir des ressources sans pouvoir décisionnel.

Bref, vous comprenez qu’il y a perte de temps, alors qu’il suffirait de faire preuve d’ouverture, d’explorer hors des sentiers battus et, surtout, de s’écouter l’un l’autre. Engager la relation dans un esprit positif de changement, d’inclusion et de reconnaissance mutuelle.

Je ne suis pas en train de dire qu’aucune requête n’est complexe. Comme dans n’importe quelle relation, il y a parfois des éléments plus simples que d’autres, des priorités différentes, des visions qui s’opposent, etc. Reste que le dialogue est toujours une avenue qui nous permettra de mieux nous connaître, nous comprendre, bref, d’entrer dans une dynamique positive.

Car croyez-moi, nous avons tous besoin d’avancer sur des enjeux qui nous font du bien.

J’ai volontairement pris ce détour avant de vous parler de toponymie. Plusieurs d’entre vous le savent peut-être déjà, mais la langue de mes ancêtres est menacée, tout comme plusieurs autres langues autochtones.

Malheureusement, je n’ai besoin que d’une main pour compter le nombre de locuteurs d’aln8ba8dwaw8gan. En une génération ou presque, pour diverses raisons, la langue a commencé à quitter nos mémoires.

Je ne parle pas d’il y a 300 ans, mais bien de la génération de mon arrière-grand-père, décédé en 1980. La langue se meurt et, avec elle, emporte toute une série de récits, de légendes, de références significatives sur le territoire ancestral, une vision du monde et de notre place sur cette Terre. Comment rester impassible face à cet état de fait ?

Lorsque j’entends des enregistrements de mon arrière-grand-père, lui qui maîtrisait l’aln8ba8dwaw8gan, le français et l’anglais, il a toute mon admiration ! Il a consacré des heures aux côtés d’autres membres de la Nation pour laisser des traces de l’étendue de ses connaissances. C’est tellement précieux !

Plusieurs noms de lieux et leur signification ont alors été documentés. Même au sein de la Nation, plusieurs de ces lieux ne sont plus référencés dans notre langue.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Un panneau d’arrêt à Odanak

C’est ainsi qu’une proposition de projet-pilote a été soumise au gouvernement du Québec. Proposition bien simple : ajouter des toponymes en langue aln8ba8dwaw8gan aux rivières situées aux abords des communautés d’Odanak et de W8linak, soit respectivement Alsig8tegw (Saint-François) et W8linaktegw (Bécancour).

Il y aurait encore bien d’autres toponymes que nous pourrions inclure dans un tel projet, mais commençons doucement. Comme discuté avec différents intervenants, l’idée n’est pas de remplacer les toponymes actuels, mais plutôt d’ajouter les toponymes en aln8ba8dwaw8gan. Cette idée n’est pas nouvelle. Elle existe ailleurs au Canada.

Elle redonne à ces différents lieux la mémoire millénaire de leur occupation.

Nous considérons par ailleurs qu’il serait inapproprié de retirer les toponymes actuels, auxquels, j’en suis convaincue, plusieurs personnes sont attachées, afin de les remplacer par les nôtres. Ce serait un non-sens de reproduire les actions du passé en effaçant les noms actuels pour imposer les nôtres. Il reste, certes, encore des détails à peaufiner, mais je sens déjà l’enthousiasme au sein de la Nation ainsi que chez des représentants du gouvernement ou du grand public. Toute cette vague d’amour pour l’aln8ba8dwaw8gan fait chaud au cœur !

Wliwni (se dit olé-oné), merci !

Wli nanawalemezi ! Prends bien soin de toi !

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