On sait que les mots des médecins ne sont pas toujours simples à décortiquer. Avec les mots qui se terminent en « ite » ou en « ose », auxquels ils ajoutent les racines gréco-latines des organes comme « musculo », « ostéo », « cardio », « pneumo », « neuro », on comprend qui sont les connaisseurs et qui leur doit révérence. Le pouvoir de la blouse blanche.

Par ailleurs, il y a des mots dans le domaine de l’organisation du travail qui n’ont rien à voir avec les connaissances médicales et que les gens ordinaires peuvent comprendre assez facilement. Des mots comme « employé salarié » et « consultant » font référence à des modes de fonctionnement et de rémunération tout à fait différents.

Les employés salariés ont un patron qui leur attribue des postes de travail dans des lieux déterminés, des objectifs et des indicateurs avec lesquels il ou elle évalue leur performance, tandis que les consultants sont des travailleurs autonomes, libres de choisir leurs mandats, leurs lieux de travail, leurs priorités, et ils font leur propre évaluation de performance.

Actuellement, les médecins sont considérés comme des consultants. Cela entraîne une rémunération à l’acte de l’ordre de 70 % pour les omnipraticiens et de 82 % pour les spécialistes, selon l’étude des impacts de la rémunération des médecins (D. Contandiapoulos et coll., commanditée par le Commissaire à la santé, 2018), l’autre partie de la rémunération prenant la forme de salaire ou de capitation (paiement basé sur le nombre de patients pris en charge et autres forfaits).

Or, selon la même étude, la rémunération des médecins au Québec serait de plus en plus opaque et « davantage le résultat de relations de pouvoir que le produit de décisions rationnelles ». Le tarif à l’acte n’aurait « que peu de liens avec le temps et l’effort demandés ou encore avec la pertinence clinique ».

À cause de leur condition particulière, des patients seraient considérés comme « non rentables » par certains omnipraticiens et spécialistes, d’où l’effet indésirable de ce mode de rémunération sur la qualité des soins. Il est plus payant pour un médecin de voir un patient toutes les 10 minutes que de prendre 20 minutes avec un patient qui aurait cliniquement besoin de plus d’attention.

Robert Jolais, commissaire à la santé, soulignait également les effets pervers de la rémunération des médecins à l’acte en 2015. Guillaume Hébert, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques, parlait d’un compromis historique survenu lors de la création de la Régie de l’assurance maladie du Québec, qui consistait à donner aux médecins le statut de « consultants » pour faciliter leur adhésion au régime d’assurance maladie universelle, parce que ces derniers craignaient qu’on les oblige à devenir des salariés de l’État.

Le débat sur la rémunération des médecins au Québec ne pourra pas être résolu par la sophistication progressive du vocabulaire utilisé pour définir la liste des actes médicaux et pour en déterminer la valeur monétaire.

Plutôt que de déléguer complètement la gouverne des mécanismes de rémunération aux syndicats de médecins, je dirais que le gouvernement devrait reprendre en main l’entière responsabilité de la rémunération, et au lieu d’une proportion de 80/20 à l’acte, leur attribuer une rémunération de 80/20 à salaire.

De cette manière, comme pour tous les autres employés du ministère de la Santé et des Services sociaux, les médecins auraient un patron qui leur attribuerait des postes de travail dans des lieux déterminés, avec des objectifs spécifiques (comme prendre en charge un certain pourcentage de patients orphelins) et des indicateurs pour évaluer leur performance.

Ne serait-ce que pour cette raison, je souhaiterais qu’on ne fasse jamais plus de la rémunération des médecins une affaire de mots (définitions d’actes médicaux) à décortiquer.

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