Je suis né à l’hôpital Santa Cabrini à Saint-Léonard de parents immigrants chinois et j’ai grandi dans le quartier portugais du Plateau Mont-Royal et plus tard dans Côte-des-Neiges. Mes parents ont subi du racisme et n’ont jamais pu se défendre en raison de la barrière linguistique. Comme plusieurs parents immigrants chinois, ils m’ont toujours conseillé d’être discret, de ne pas déranger et de ne pas prendre la parole parce qu’ils ne veulent pas que je vive ce qu’ils ont vécu afin de me protéger. Têtu, je n’ai pas écouté leur conseil.

Bien que j’aie subi de nombreuses micro-agressions verbales racistes, de la moquerie et du mépris à l’école, à l’université, dans le démarrage d’entreprises et dans mes engagements sociaux, je me suis tout de même donné comme mission de rapprocher la communauté chinoise et la majorité d’accueil québécoise à travers mes implications sociales bénévoles. C’était ma façon de rendre la société québécoise meilleure.

Tout récemment, à la suite d’une série d’actes haineux contre les Asiatiques, une fusillade à Atlanta a fait huit morts, dont six femmes asiatiques, créant une vague d’indignation dans le pays.

Au Québec, comme ailleurs au Canada, la stigmatisation des Québécois d’origine asiatique a fortement augmenté au cours de la dernière année.

Récemment, des milliers de personnes ont manifesté dans la rue pour dénoncer le racisme anti-asiatique à Montréal, ainsi que dans plusieurs villes américaines. C’était le début du mouvement « Arrêtez la haine contre les Asiatiques ».

Depuis la parution dans les médias de renseignements révélant l’existence de la COVID-19 en Chine au mois de janvier 2020, les restaurants chinois de Montréal ont constaté, avant même la fermeture obligatoire, une diminution marquée de leur clientèle. Une certaine méfiance à l’égard des Québécois d’origine asiatique avait déjà commencé à s’installer, et ce, de manière croissante. En un an, au moins 30 incidents haineux contre des membres de la communauté asiatique ont été signalés, notamment des agressions verbales et physiques, des coups de couteau, des crachats, du vandalisme et des effractions dans le Quartier chinois et ailleurs à Montréal. Aussi, plusieurs enfants asiatiques ont été intimidés dans la cour d’école. Dernièrement, un Montréalais d’origine coréenne s’est fait poivrer en marchant dans la rue dans le Plateau, mais était-ce vraiment un hasard ?

Boucs émissaires

Il a fallu que les membres de la communauté asiatique se serrent les coudes, alors que nous devenions le bouc émissaire de la pandémie ici, comme ailleurs en Occident. Depuis, de nombreuses démarches ont été entreprises, allant de la mise en place de groupes de discussion sur le racisme dans les médias sociaux au soutien en matière de santé mentale, en passant par le recours au covoiturage bénévole, les patrouilles de sécurité dans le Quartier chinois et les banques alimentaires pour les familles touchées par les difficultés que rencontrent les entreprises asiatiques.

Bien des membres de la communauté asiatique se sont levés pour dénoncer le racisme dans des enceintes variées. Au Canada, des chefs de gouvernement comme les premiers ministres Justin Trudeau, Doug Ford et John Horgan, ainsi que les mairesses de Montréal et de Brossard, Valérie Plante et Doreen Assaad, ont notamment décrié les actes haineux à l’encontre des Asiatiques. En ce qui concerne les États-Unis, le président Joe Biden a formellement condamné ce type de racisme et exigé la création d’une unité de police consacrée aux actes haineux contre les Américains d’origine asiatique. C’est une voie que nous pourrions suivre au Québec.

Malheureusement, les victimes asiatiques se heurtent encore à trop d’obstacles lorsqu’elles signalent ces incidents blessants à la police.

Il importe de mettre en œuvre des stratégies concrètes visant à encourager les victimes asiatiques de violence à porter plainte auprès de la police. Une fois l’incident signalé, nous devrions pouvoir compter sur une unité de police qui saisit la réalité du phénomène et qui peut intervenir dans un délai raisonnable. En effet, il est également nécessaire de recueillir correctement les données relatives à ces actes malveillants pour permettre à la police d’établir un meilleur plan d’intervention à l’avenir, comme cela se fait aux États-Unis. Cette solution est l’une des nombreuses mesures visant à combattre le racisme à l’égard des Asiatiques.

Les gouvernements provinciaux, fédéral et municipaux doivent travailler ensemble pour mettre en place différentes mesures adaptées à la réalité des Asiatiques, notamment :

– élaborer une campagne de sensibilisation afin de conscientiser le public à cette problématique, notamment aux préjugés propres aux femmes asiatiques et ceux propres aux hommes asiatiques ;

– lutter contre les discours haineux et la désinformation en ligne, qui sont à l’origine de la récente augmentation de la haine anti-asiatique ;

– intégrer dans le cursus scolaire l’enseignement de l’histoire des premiers arrivants chinois au Québec en incluant les notions de taxe d’entrée et de loi d’exclusion des Chinois ;

– former les enseignants du primaire et du secondaire pour parler de racisme anti-asiatique ;

– souligner le travail de nos artistes québécois d’origine asiatique et leur faire de la place ;

– soutenir les organismes communautaires asiatiques en aide des personnes défavorisées et marginalisées, notamment en santé mentale ;

– travailler avec la prochaine génération de communautés asiatiques pour assurer une meilleure représentation dans la sphère publique telle que les médias, la scène politique et les conseils d’administration des sociétés d’État.

Le mot crise en chinois contient deux caractères, l’un est le mot « danger » et l’autre est le mot « opportunité ». À mes yeux, les gouvernements ont une grande marge de manœuvre pour adopter ces mesures afin de permettre un véritable rapprochement entre la société dominante et sa minorité asiatique pour assurer une meilleure cohésion sociale au Québec. Nous pouvons ainsi bâtir une société inclusive dans laquelle les Québécois d’origine asiatique comme moi ne se sentent plus comme des étrangers dans leur propre maison, mais plutôt comme des Québécois à part entière.

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