L’auteure s’adresse au premier ministre, François Legault

M. Legault, durant le premier confinement, vous avez clairement indiqué que les services de garderie sont considérés comme un service essentiel. Or, ce service n’est pas traité également et justement.

Plus de 25 % des parents québécois n’ont pas accès à un service de garde subventionné. Une détresse psychologique se faisait sentir bien avant la pandémie et cette détresse s’est amplifiée à cause de la pression financière qu’exercent les coûts faramineux et l’injustice que subissent ces parents.

M. Legault, je suis inquiète pour ces mères qui m’écrivent : certaines pleurent, désespérées de trouver une garderie pour leur enfant ; d’autres stressent à l’idée d’annoncer à leur employeur qu’elles ne pourront pas retourner au travail. D’autres ont dû quitter leur profession faute de place en garderies abordables. Elles sont préposées aux bénéficiaires, infirmières, biologistes, enseignantes, etc.

Je suis aussi inquiète pour ces familles utilisatrices de places en garderies non subventionnées qui s’endettent et s’appauvrissent : leur paiement de garderie est plus élevé que leur hypothèque, avec des tarifs journaliers de 50 $, voire 70 $ dans certaines régions, pendant que des gens avec des revenus familiaux annuels de 400 000 $ ou plus bénéficient d’un tarif réduit de 8,50 $ par jour en garderies subventionnées.

Le plafond du gouvernement ne permet pas au retour anticipé de s’approcher du tarif unique à 8,50 $, dont 75 % des parents bénéficient en CPE ou en milieu subventionné. Rappelons que le crédit d’impôt du gouvernement, indexé de 0,50 $ depuis 2009, couvre jusqu’à 35 $ par jour, selon le revenu familial.

Je suis inquiète, également, pour ces femmes (et quelques hommes) qui ne peuvent s’épanouir en exerçant leur métier faute de places dans les garderies abordables, dites subventionnées, celles non subventionnées leur étant inaccessibles financièrement. Cela nuit à la condition féminine. Je suis aussi inquiète pour les propriétaires de garderies non subventionnées (GNS) – souvent des femmes – qui pensent fermer leurs portes, car ils n’ont pas assez d’enfants dans leur garderie, même avant la COVID-19, puisque le tarif est trop dispendieux pour un grand nombre de parents, surtout depuis la mise à jour économique à l’automne 2019 proposant un retour au tarif unique rétroactif au 1er janvier 2019 seulement en milieu subventionné.

Enfin, je suis inquiète pour les familles qui, à cause de la COVID-19, ne peuvent pas envoyer leurs enfants en garderie en raison de problèmes de santé, et qui sont tout de même obligées de payer les frais faramineux de leur garderie non subventionnée afin de préserver leur place.

J’ai vu jusqu’à 15 000 $ de différence entre le montant annuel de frais de garde payé par une famille chanceuse qui bénéficie d’une place en garderie subventionnée et celui qu'une famille en garderie non subventionnée doit débourser, et ce, en utilisant l'outil de calcul de Revenu Québec. Pourtant, ces parents n’ont pas eu le choix, car le réseau subventionné est saturé ; ce sont plus de 70 000 enfants, dont les parents doivent d’autant plus travailler, qui utilisent les services de garde non subventionnés. Ces parents payent des taxes et des impôts, tout comme les parents des CPE ou ceux des garderies privées subventionnées. Les garderies privées non subventionnées sont reconnues par le ministère de la Famille et elles sont soumises aux mêmes lois et règlements que les CPE.

Pas de garderie, pas de travailleurs. Pas de travailleurs, pas d’économie

En bonifiant le crédit d’impôt aux familles en garderie non subventionnée, rétroactivement au 1er janvier 2019, pour arriver au même coût abordable que les CPE, de nombreuses familles pourraient avoir accès très rapidement aux 22 500 places actuellement libres, car non abordables, en GNS, et ainsi pouvoir retourner travailler.

Malgré les allégements bureaucratiques pour la construction de CPE annoncés cette semaine par votre ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, et le projet pilote de conversion des GNS en garderies subventionnées, cette solution permettrait d’éviter des coûts et des délais relatifs à la construction de CPE, mais également de retirer une épine du pied de bien des parents utilisant actuellement le réseau non subventionné en allégeant leur fardeau fiscal, ce qui me semble encore plus logique en temps de pandémie.

Dans un article paru dans le Journal de Montréal, le 25 octobre 2013, vous disiez : « Si, au lieu de bâtir pour 160 places, on convertissait les 80 places ici en places subventionnées, on n’aurait pas besoin de bâtir. » D’ailleurs, le gouvernement fédéral vous a versé un montant important dans le cadre de l’Accord sur la relance sécuritaire (ARS) avec les provinces et territoires, un investissement lié entre autres aux services de garde dans le but de les rendre abordables pour faciliter le retour au travail des parents travailleurs. Malheureusement, cet argent n’a pas été redistribué pour favoriser les parents qui n’ont pas accès au réseau subventionné, mais plutôt pour soutenir à nouveau les CPE, en les aidant à couvrir les frais relatifs à la COVID-19.

Selon une étude des économistes Pierre Fortin, Luc Godbout et Suzie Saint-Cerny (2012), les CPE étaient une réussite tant d’un point de vue social que d’un point de vue économique. Une réussite pour l’accès à l’emploi pour les femmes et pour les finances des deux paliers de gouvernements (provincial et fédéral) : chaque tranche de subvention de 100 $ du gouvernement du Québec lui a procuré un retour fiscal de 104 $ et a fait cadeau de 43 $ au gouvernement fédéral.

Selon les travaux de James Heckman, récipiendaire du prix de la Banque de Suède en sciences économiques (surnommé « prix Nobel d’économie »), la rentabilité des investissements dans les services de garde éducatifs est des plus intéressantes. Chaque dollar investi dans ce secteur génère des économies de 7 $ dans les services de santé, d’éducation, de sécurité et de justice, et ce, principalement en raison de l’efficacité des investissements dans la prévention des problèmes liés au développement humain. Le dossier des garderies est clairement le chaînon manquant de notre relance économique.

M. Legault, les parents de 70 000 enfants en garderies non subventionnées ont besoin de vous afin de corriger l’iniquité tarifaire qui court depuis janvier 2019. Pour le bien de notre société, pour le bien des employeurs à la recherche de main-d’œuvre, pour la santé mentale des parents, pour le développement des enfants, pour le bien-être des familles québécoises et, aussi, pour la santé de notre économie, je vous supplie de ne pas tarder à régler cet enjeu pour des raisons électorales.

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