En décembre, lorsque le gouvernement fédéral a annoncé le dépôt du projet de loi C-15 – Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, plusieurs se sont demandé s’il fallait se réjouir ou s’inquiéter. Se réjouir que le Canada prenne enfin une position forte en faveur de la Déclaration. S’inquiéter que le projet de loi vide la Déclaration de son sens et la rende complètement inoffensive : un beau ruban sur le cadeau du statu quo.

Nous n’avons pas le temps pour une autre occasion manquée. Le projet de loi doit être à la hauteur des espérances et des besoins. Nous sommes une société issue de la colonisation et cela fait mal – et cette souffrance affecte de manière disproportionnée les Autochtones. La mort de Joyce Echaquan est un exemple effarant de la prévalence du racisme, de sa violence et de son caractère systémique. Natasha Kanapé Fontaine nomme cette douleur aux racines profondes lorsqu’elle écrit : « Il y a dans le fondement du monde une ecchymose ».

Le monde juridique fournit son propre lot d’exemples de racisme systémique, de la surreprésentation des Autochtones dans le système correctionnel à la difficulté d’obtenir justice devant les tribunaux canadiens. En 2009, la Commission interaméricaine des droits de l’homme déclarait ainsi qu’il n’existait aucun recours efficace en droit canadien permettant aux peuples autochtones d’obtenir réparation pour la violation de leurs droits ancestraux.

La Déclaration offre deux sentiers complémentaires pour transformer le paysage juridique afin d’assurer le respect des droits des peuples autochtones.

L’un de ces sentiers est l’article 40, qui prévoit que les « peuples autochtones ont le droit d’avoir accès à des procédures justes et équitables pour le règlement des conflits et des différends avec les États ou d’autres parties ».

Au Canada, l’expérience du Tribunal des revendications particulières offre certaines pistes à considérer dans le cadre de la mise en œuvre de l’article 40. Ce tribunal tranche les réclamations des Premières Nations à l’encontre du Canada pour des manquements historiques à ses obligations. Ces litiges concernent par exemple la cession illégale de terres de réserve ou leur inondation due à la construction de barrages hydroélectriques. Le tribunal peut se déplacer dans les communautés des Premières Nations pour entendre des témoins, voire pour l’ensemble des procédures, et peut offrir la traduction simultanée des plaidoiries au bénéfice des membres de la communauté.

Cela permet aux communautés de se réapproprier un processus judiciaire qui concerne des évènements marquants et douloureux de leur histoire.

De plus, le tribunal se consacrant uniquement aux revendications particulières, les juges développent une expertise sur l’histoire des relations entre le Canada et les Premières Nations, ce qui leur permet d’appréhender plus justement les enjeux juridiques qui leur sont soumis. Ce processus est loin d’être parfait, mais il offre plusieurs avantages comparativement aux tribunaux ordinaires et montre ainsi qu’on peut faire mieux.

L’autre sentier est l’article 34, qui reconnaît que les peuples autochtones ont leurs propres systèmes juridiques et le droit d’y recourir. Plusieurs Premières Nations au Québec affirment depuis longtemps leur droit à l’autonomie judiciaire, notamment dans les domaines de la protection de l’enfance et de l’environnement. L’article 34 implique de reconnaître la légitimité des institutions juridiques autochtones et leurs compétences sur les questions qui les concernent. Cette mise en œuvre doit dépasser la simple délégation de pouvoirs par l’État qui ne permet pas la reconnaissance des systèmes juridiques propres aux Peuples autochtones. Pour tracer ce sentier, nous pouvons regarder du côté de pays qui ont déjà reconnu constitutionnellement les systèmes juridiques autochtones. Par exemple, la Colombie reconnaît depuis 1991 que les autorités des peuples autochtones peuvent exercer des fonctions judiciaires sur leur territoire en conformité avec leurs normes et procédures internes. Les peuples autochtones en Colombie peuvent donc se charger du règlement de conflits internes, notamment en matière de délits, de conflits familiaux, de répartition des biens communs et d’accès au territoire. Le Canada pourrait tirer des leçons utiles de la mise en œuvre de cette reconnaissance, tant de ce qui fonctionne que de ce qui doit être amélioré.

Les drames comme celui de la mort de Joyce Echaquan exigent que les gouvernements prennent des mesures immédiates afin d’assurer aux Autochtones un accès à des soins de santé de qualité. Une de ces mesures doit viser à mettre fin à l’impunité en mettant en place un processus de traitement des plaintes efficaces et en s’assurant que les individus et les institutions soient tenus responsables lorsqu’ils font preuve de racisme. À travers ces articles 34 et 40, la Déclaration nous indique que cela doit se faire en garantissant aux Autochtones l’accès à des procédures justes et équitables, de même qu’en tenant compte des normativités autochtones.

La Déclaration montre qu’il existe des sentiers à emprunter vers le respect des droits des peuples autochtones et nous avons des exemples pouvant nous servir de repères. Il n’en tient qu’à nous de le faire avec toute la passion et la rigueur nécessaires. Il n’en tient qu’à nous de contribuer à la guérison de cette ecchymose plus que centenaire.

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