J’ai beaucoup aimé écouter la balado réalisée par Martin Tremblay et Katia Gagnon* qui a coïncidé avec la sortie du rapport de la commission Laurent. Par contre, le titre de la série parle d’une âme perdue. Mais je me demande… y en avait-il vraiment une au départ ?

Pendant 10 ans, j’ai travaillé comme employée de la DPJ. Je suis maintenant professeure à l’École de travail social de McGill et je donne un cours de protection de l’enfance aux étudiants de première année en travail social. En février dernier, j’ai témoigné devant la commission Laurent sur la surreprésentation des enfants noirs dans le système de protection de l’enfance et sur la nécessité d’un partenariat avec le milieu communautaire.

Honnêtement, je ne déteste pas le rapport préliminaire. Après avoir écouté un certain nombre de témoignages, je pense qu’il reflète fidèlement ce qui a été rapporté par la communauté des chercheurs, les praticiens en travail social et les organismes communautaires. Le rapport touche la cible avec le besoin d’une orientation qui nécessite un changement au sein de la société, la nécessité pour les DPJ de ne plus être les premiers répondants pour les familles ainsi qu’une législation qui soutienne ces orientations.

Le problème que j’ai avec le rapport est lié à la recommandation de mettre en place une autorité provinciale : un directeur national de la protection de la jeunesse.

Nous savons déjà que l’État seul n’est pas capable d’assurer la sécurité et le bien-être des enfants. Nous savons également qu’après les deux dernières restructurations et réformes de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPA), le taux de signalements obtenus a augmenté. À quel moment remettons-nous en question l’autorité conférée à l’État ? Le rapport fait mention des « enjeux de leadership et de l’imputabilité en protection de la jeunesse » comme raison d’instaurer un directeur national.

Selon le rapport, ce leadership découlant du ministère de la Santé et des Services sociaux sera mobilisateur et permettra d’uniformiser et de responsabiliser l’ensemble des 16 centres jeunesse au Québec. Ce que l’on semble oublier est que « l’hémorragie du leadership » a été fort probablement causée par le remaniement et la réorientation des services sociaux de la Loi 10.

Selon moi, la mise en place d’un « ange gardien et chien de garde » ne fera qu’éloigner les clients et obligera à consacrer plus de temps à la paperasserie, aux réunions et à l’administration – essentiellement à la bureaucratie. Le rapport met en cause les dirigeants actuels et suggère qu’une surveillance est nécessaire, de la même manière que la DPJ dénonce les parents et les surveille.

À quel moment reproche-t-on à l’État son rôle ? Quant à l’uniformisation et à la centralisation, ont-elles jamais été une bonne chose pour les populations marginalisées ?

En tant que chercheure dont le travail porte principalement sur la surreprésentation des enfants noirs dans le système de protection de l’enfance, faire cette recherche au Québec est un grand plaisir. En comparaison avec les États-Unis et les autres provinces, nous sommes socialement progressistes. Nous avons plusieurs services de prévention, des services adaptés à la pratique interculturelle, et nous sommes des leaders dans le mouvement de la pédiatrie sociale. Nous sommes véritablement un Québec « fou de ses enfants ».

Par contre, nous avons choisi d’aimer nos enfants à travers la surveillance et la punition de leurs parents. Des parents qui, dans la plupart des cas, vivent dans des circonstances socialement précaires et font de leur mieux pour soutenir le développement et le bien-être de leurs enfants. Et si, au lieu d’investir dans la DPJ, nous investissions dans la communauté ? Et si une responsabilité partagée signifiait réellement une responsabilité partagée ? Et si nous tentions de faire quelque chose de radicalement différent de ce qui a été fait auparavant… peut-être aurions-nous un résultat différent.

* Écoutez la balado « La DPJ a-t-elle perdu son âme ? »

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