À l’occasion du jour du Souvenir, les membres de l’Assemblée nationale ont (enfin) voté, la semaine dernière, une motion pour honorer la mémoire de Léo Major, dit « le fantôme borgne ». Il aura donc fallu attendre 75 ans (bravo pour la promptitude !) pour que l’on se souvienne de la bravoure et de l’héroïsme de ce prodigieux soldat québécois qui a libéré à lui seul (!) Zwolle, une ville de 50 000 habitants.

En 2017, désireux de retracer le parcours de l’intrépide combattant, dans le but de le faire connaître par le truchement des Grands reportages (à ICI Radio-Canada télé), je me suis rendu en Hollande où j’ai eu la chance de constater à quel point cet homme y était toujours vénéré.

En reconnaissance de ses exploits hors du commun, une des plus importantes avenues de Zwolle porte son nom et, chaque année, les écoliers s’appliquent à composer des chants et des poèmes en sa mémoire.

Un héros pour eux… un zéro pour nous !

Après avoir regretté que l’histoire de Léo Major reste toujours méconnue au Québec, l’Assemblée nationale s’est donc engagée, le 11 novembre dernier, à « faire connaître davantage son récit et sa vie aux Québécois » et a demandé au gouvernement « de mandater la Commission de toponymie du Québec afin qu’elle nomme un endroit hautement significatif à la mémoire du soldat Léo Major ».

Pour le moment, personne ne sait de quelle manière le gouvernement entend faire connaître aux Québécois les exploits hors du commun du légendaire fantassin à qui le lieutenant Éric Marmen, directeur du Musée du Régiment de la Chaudière, a donné le surnom de « Rambo québécois ».

Terrorisés par son irréductibilité, les nazis, eux, l’avaient surnommé « le fantôme borgne ». Car, après avoir perdu un œil lors du Débarquement de Normandie, tel un pirate, Léo portait un cache-œil.

À peine avait-il mis ses pieds sur la plage, le jour du Débarquement, qu’une grenade lui a fait perdre un œil. Le médecin de l’armée a aussitôt annoncé au blessé que, pour lui, la guerre était finie et qu’il allait être rapatrié au Canada.

La réponse de Léo ne s’est pas fait attendre. « Il n’en est pas question, rétorqua-t-il. Je suis un tireur d’élite. Sachez, Monsieur, que pour tirer du fusil, je n’ai besoin que d’un œil ! »

La riposte donne une excellente idée de l’homme hors-norme qu’était Léo qui, par pudeur, comme les vrais héros, ne se vantait jamais de ses exploits. À preuve, l’incident qui est survenu peu de temps après la fin de la guerre alors qu’une délégation officielle des Pays-Bas s’est déplacée jusqu’à Longueuil pour lui remettre une médaille et le consacrer citoyen honoraire de la ville de Zwolle.

Surprise d’entendre de la bouche des visiteurs les exploits surhumains que son mari avait accomplis aux Pays-Bas, sa femme lui demanda des explications :

— Pourquoi ne m’as-tu jamais raconté ce que tu avais fait en Hollande, Léo ?

— Parce que tu ne m’aurais jamais cru ! lui a-t-il répondu.

Je suis impatient de voir quand et comment le gouvernement entend s’y prendre pour obtempérer à la motion adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale afin de faire connaître la vie de Léo aux Québécois. En attendant, les impatients ont toujours le loisir de se tourner vers le livre Léo Major, un héros résilient1 ou Léo Major, un héros québécois2 ou encore visionner sur TOU.TV le film du réalisateur Bruno Desrosiers, Léo Major, le fantôme borgne.3 Ces documents leur apprendront, entre autres, que Léo est un des rares militaires à avoir refusé la Distinguished Conduct Medal pour sa bravoure. La première fois à cause de ses convictions nationalistes et la seconde parce qu’elle devait lui être remise par Montgomery, que Léo jugeait… incompétent (!).

Quant à la Commission de toponymie du Québec, chargée de dénicher une place, une rue ou une ruelle à baptiser du nom de Léo, elle pourrait songer au socle laissé vacant, au carré Dominion, par le départ précipité de John A. Macdonald, pour y glisser une statue, une statuette ou même une figurine de Léo.

Et si jamais cette même Commission voulait faire œuvre utile dans le domaine de notre patrimoine, la liste des héros québécois qui n’attendent qu’à sortir de l’ombre est longue.

On pourrait lui suggérer de s’intéresser par exemple au lieutenant Charly Forbes, le militaire qui détient le plus grand nombre de médailles au Canada. Peintre, sculpteur, violoniste, conférencier et auteur, il pratiquait la sagesse et l’humour avec bonheur et avec ferveur. Après avoir participé au Débarquement, il a aussi combattu en Hollande. En signe de reconnaissance de ce qu’il a fait pour les Hollandais, la reine Williamine ainsi que Juliana qui lui a succédé ont pris l’habitude d’inviter Charly chaque année à séjourner au château royal ! Le légendaire lieutenant a aussi fait la guerre de Corée où il a combattu aux côtés de nul autre que Léo Major. À eux deux, ces vaillants combattants ont réussi à chasser 3000 Chinois de la légendaire Colline 355.

La Commission de toponymie pourrait aussi retenir le nom de Lucien Dumais qui avec son compagnon Raymond Labrosse et le père de Jane Birkin ont réussi a exfiltrer vers l’Angleterre 307 agents, soldats alliés et même… François Mitterand.

Elle pourrait également s’attarder sur le cas du lieutenant-colonel Fernand Mousseau qui, lors de la libération de Paris, a empêché que tous les arbres de la Ville lumière ne soient abattus. À Léo Gariépy qui, au péril de sa vie, a permis la libération de Courseulles. Ou encore à Maurice Tremblay, un des rares survivants d’une marche à la mort conduite par les SS qui a réussi à décrocher le parachutiste Marvin Steele du clocher de l’église de Sainte-Mère-Église, sur lequel il avait malencontreusement atterri.4

Et pour compléter l’exceptionnelle mission qui lui a été confiée par le gouvernement, la Commission pourrait aussi s’attarder sur l’éblouissante histoire du capitaine Stanislas Déry qui, malgré le torpillage d’un sous-marin allemand dans les eaux glaciales du Groenland, n’a jamais été décoré pour son exploit… comme le veut pourtant la coutume. Pourquoi ? Parce qu’il avait transgressé un règlement (inhumain) de la marine interdisant aux navires de combat de prendre des prisonniers à leur bord. Plutôt que de recevoir une médaille, Stanislas a préféré sauver la vie à 55 sous-mariniers ennemis, en les accueillant sur le navire dont il avait la charge. N’eût été son intervention humanitaire, les naufragés seraient tous morts d’hyperthermie.

Ce n’est qu’après que l’Assemblée nationale aura réussi à honorer tous nos héros qui sont restés dans l’ombre que l’on pourra crier triomphalement : « On est fiers d’être Québécois ! »

1 Luc Lépine, Éditions Hurtubise

2 Erick Drapeau, Éditions Erick Drapeau

3 Les Films Sighter, Les grands reportages, ICI Radio-Canada télé

4 Illustré dans le film Le jour le plus long

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