Le soir du 30 octobre 1995, après l’annonce des résultats du référendum québécois, plusieurs chefs de file de la campagne fédéraliste se sont réunis dans un hôtel du boulevard René-Lévesque pour marquer cette nuit historique.

Mais l’ambiance était sombre et de nombreux participants ont poussé un soupir de soulagement collectif au lendemain d’une victoire dont la marge était de moins de 1 %. Malgré la victoire du vote populaire, on ne pouvait pas se défaire du sentiment, ce soir-là, que le camp fédéraliste n’avait pas réussi à gagner la campagne.

La campagne souverainiste a été menée par le Parti québécois, parti au pouvoir qui contrôlait le calendrier du référendum et, ce qui était peut-être plus important encore, qui avait rédigé la question posée à l’électorat. Lors du lancement de la campagne par le gouvernement le 2 octobre, les fédéralistes faisaient confiance aux sondages qui leur donnaient une avance confortable d’une dizaine de points. Peu de fédéralistes s’attendaient à une marge de victoire aussi importante, encore moins d’entre eux auraient prédit un résultat aussi serré.

Tout au long de la campagne, les fédéralistes surveillèrent avec inquiétude l’effritement de leur avance. Deux semaines avant le référendum, plusieurs sondages révélaient un soutien presque égal en faveur du Oui et du Non, à environ 45 % chacun, les 10 % restants n’ayant pas encore décidé comment ils allaient voter. Pour de nombreux stratèges référendaires, ces 10 %, qui étaient perçus par les deux camps comme des fédéralistes mous ou des souverainistes conditionnels, faisaient l’objet d’une attention toute particulière.

Les sondages montraient qu’un grand nombre de Québécois indécis – presque tous francophones – souhaitaient entretenir un lien quelconque avec le Canada, et étaient donc attirés par l’idée d’un nouveau partenariat économique et politique tel que proposé dans la question référendaire ambiguë. Les stratèges fédéralistes semblaient incapables de réfuter l’idée de partenariat.

Les porte-parole des souverainistes sont allés plus loin encore en insistant sur le fait qu’ils assureraient un partenariat égal avec le Canada selon des conditions dictées par le Québec. Leur capacité à vendre cette idée dépendait plus du messager que du message, étant donné la nomination par Parizeau du très charismatique chef du Bloc québécois, Lucien Bouchard, comme négociateur en chef de ce partenariat imaginaire entre le Québec et le Canada.

Les fédéralistes étaient à court de messager efficace et les déclarations de leurs porte-parole furent très soigneusement scénarisées durant la campagne. On donna l’impression que moins on en disait, mieux c’était. Les stratèges fédéralistes québécois souhaitaient surtout que le premier ministre Jean Chrétien en dise le moins possible.

Ironiquement, vers la fin de la campagne, le chef du camp fédéraliste, l’ancien premier ministre du Québec Daniel Johnson, a demandé au premier ministre fédéral de s’engager publiquement à reconnaître le Québec comme société distincte, quelque chose que Chrétien a justement hésité à faire a ce stade de la campagne.

En fin de compte, M. Chrétien a senti le besoin d’agir et a tenu à prononcer un discours à la nation (une initiative qui a semé la division parmi les stratèges fédéralistes). Le 25 octobre, le premier ministre a lancé un appel télévisé à l’unité canadienne, appel immédiatement démoli par M. Bouchard.

* * *

J’ai eu l’occasion de suivre de près la campagne référendaire. À l’époque, j’étais directeur général de la section québécoise du Congrès juif canadien et notre organisation s’est alliée à des organisations grecques et italiennes pour parler au nom des nombreux membres de nos communautés qui possédaient un fort sentiment d’appartenance au Québec et au Canada. Certains remettaient régulièrement en question notre engagement envers le Québec et qualifiaient notre implication dans la campagne référendaire d’« antiquébécoise ».

Nos communautés n’ont pas eu l’impression d’avoir un impact considérable sur le vote global. Pourtant, certains souverainistes pensaient le contraire et souhaitaient que les Québécois francophones le perçoivent ainsi.

Ils ont cherché à donner l’impression aux francophones que voter Non, c’était s’aligner avec les membres des minorités ethniques qui, selon eux, rejetaient le Québec. En suivant ce raisonnement, non seulement il y avait deux classes de Québécois, mais il y avait aussi deux classes d’électeurs fédéralistes.

Nos communautés ont donc été montrées du doigt comme étant le principal obstacle à la volonté de la majorité d’accéder à la souveraineté. Cependant, on référait non pas à la majorité des Québécois, mais à la majorité francophone ethnolinguistique. Jacques Parizeau l’a exprimé très clairement peu après l’annonce de la défaite référendaire lorsqu’il a imputé la défaite à « l’argent et des votes ethniques », et a ajouté que « les trois cinquièmes de ce que nous sommes ont voté Oui ». Heureusement, on était nombreux à dénoncer cette déclaration incendiaire.

Le 30 octobre 1995, les fédéralistes ont remporté une mince victoire référendaire au cours d’une campagne où ils semblaient être constamment sur la défensive. Aurait-il pu y avoir une meilleure stratégie de campagne pour les fédéralistes ? Vingt-cinq ans plus tard, c’est difficile à dire. En fin de compte, le référendum de 1995 reste sans aucun doute l’un des événements politiques les plus importants de l’histoire moderne du Québec.

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