Je suis professeure de didactique des sciences depuis 2007. J’ai fait un baccalauréat en biologie, une maîtrise en littérature et un doctorat en éducation.

Depuis plusieurs années, je donne un cours de deuxième et troisième cycle intitulé Épistémologie et éducation.

Les étudiants et moi discutons de leurs postures épistémologiques de recherche. Par ailleurs, nous abordons les courants contemporains interdisciplinaires dont les science studies, les feminist studies, les queer studies, les postcolonial studies et les black studies. Enfin, nous réfléchissons ensemble à l’épineuse question des rôles sociaux des universitaires en tant que producteurs et diffuseurs de connaissances.

Depuis septembre, dans la foulée de l’affaire Russell à l’Université Concordia, je donne mon cours dans un état de préoccupation.

J’ai assez d’expérience pour savoir que malgré toutes les précautions discursives qu’une professeure peut prendre alors qu’elle donne son cours, les mots utilisés ou les idées explorées peuvent heurter.

Mais ce ne sont pas les réactions potentielles des étudiants qui me préoccupent.

Ce qui m’inquiète, c’est l’idée d’une gestion punitive des controverses par les universités, une gestion qui fragilise à la fois la crédibilité de la professeure, la liberté universitaire, les approches pédagogiques inclusives et la qualité globale de la formation universitaire.

À la lumière des nombreux textes publiés depuis quelques jours concernant l’affaire Lieutenant-Duval, on constate que le débat s’étend au-delà de l’usage d’un mot chargé de douleur. Il concerne des points de vue multiples et pertinents relativement à l’exploration scolaire d’histoires d’oppression (actuelles et passées), la nature de la liberté universitaire, la résistance professorale vis-à-vis d’une logique institutionnelle clientéliste, etc.

Au chapitre des fonctions professorales, je me demande : comment aborder les questions socialement vives en classe – qu’elles soient culturelles, environnementales ou sanitaires – si on ne peut nommer des évènements, contraster des idées, citer des ouvrages, relater des luttes éprouvantes, mais inspirantes ? Comment et pourquoi inviter les étudiants à interroger le monde, à agir sur les injustices sociales et environnementales et à se familiariser avec l’inconfort de la pensée critique si, ce faisant, on s’expose au risque d’une gestion entrepreneuriale qui va de la stigmatisation à la suspension en passant par la moralisation ?

En février 2019 dans Le Devoir, avec trois collègues (Louis-Philippe Lampron, Patrick Provost et Simons Viviers), j’ai écrit « Il faut défendre la liberté académique des universitaires » (texte cosigné par plus de 450 enseignants, professeurs et chargés de cours). Depuis quelques jours, d’autres textes collectifs circulent. C’est important, mais ce n’est pas suffisant. Les universités hésitent à prendre fait et cause pour leurs professeurs (il faut lire la préface de L’affaire Maillé écrite par Yves Gingras en 2018). Il y a quelques jours, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université, qui représente 8000 professeurs des universités du Québec, a écrit au recteur de l’Université d’Ottawa pour lui faire part de ses inquiétudes et de son mécontentement.

Un point d’inflexion pérenne pourrait être la protection de la liberté universitaire par une loi. Une chose est certaine : sans protection claire de la liberté universitaire, la qualité de l’éducation universitaire à la citoyenneté, aux questions socialement vives et aux courants de recherche contemporains sera irrémédiablement touchée.

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