C’est la société qui est malade – et en profondeur. Ce n’est pas le panvirus qui la rend malade ! Elle est malade de peur, elle « pète de trouille » et va finir par exploser, voler en éclats, se désintégrer. Cette peur n’est en réalité que la grande peur de l’autre, immémoriale, qui semble avoir trouvé une solution finale en s’enfermant dans une impasse apocalyptique.

Peur de l’autre (le migrant, le fou, le basané, le divers, l’incorrect, l’intempestif…) qui n’est que peur de soi-même et de sa disparition : dans l’inconnu ? « Peur de mourir » qui n’est qu’angoisse du reflet menaçant que l’autre nous adresserait en miroir. D’où la nécessité, présentée comme urgente et irréfragable, de le masquer définitivement, cet autre – et de ne plus jamais se laisser aller à… l’embrasser !

« Mourir, la belle affaire ! Mais… pourrir, oh pourrir », pourrait-on dire, en paraphrasant Brel, car c’est bien ce qui est en jeu ici et maintenant. Le politique et le médical, unis comme jamais dans un con-sens-sus qui réclame de méditer son nom, semblent jouer une tragicomédie sans terme prévisible que ne désavoueraient ni Rabelais ni Jarry ni Orwell. Ils veulent empêcher les gens de mourir (!), et, a fortiori, de disposer de leur vie comme ils l’entendent. Ce faisant, ils allèguent bien sûr qu’ils ne visent que la « surmortalité » (par rapport à quelle norme ?), les morts prématurées (qui n’auraient pas dû advenir), les décès « évitables » de « personnes fragiles » en raison de leurs lieux de vie (ou plutôt : d’enfermement), de leur âge, de leurs pathologies antérieures, de leur situation sociale, économique, communautaire, carcérale, de leur état psychologique ou psychiatrique, favorisant la malignité, sinon la létalité du panvirus.

La distanciation permanente ?

Mais qui peut assurer que demain, quand la petite couronne à vérole aura été terrassée par un épatant vaccin (contre l’autre ?), ils ne réclameront pas de maintenir l’obligation de toutes les formes de « distanciation sociale » (oxymore aussi grotesque que « plan social »), du masque en tous lieux (pour gommer les dernières identités, et, finalement : le langage même ?), de la prohibition du baiser, de la poignée de main et de la discussion animée de vive voix (le postillon, voilà l’ennemi !) ?

On ferme déjà parcs et jardins dès que souffle le premier zéphyr, au motif qu’une branche de ginkgo biloba aurait manifesté l’intention sournoise de nous fracasser le crâne…

Qui ne saurait donc imaginer qu’après-demain l’on n’hésitera pas à décider ex cathedra de nous assigner à résidence cloîtrée au motif d’autres virus suspects, pernicieux, déviants et incontrôlables ; sinon en raison d’une mauvaise pluie risquant de nous causer un rhume fatal ? Qui pourrait réfuter que la consommation de tabac, d’alcool, de foie gras, la conduite autonome de véhicules personnels (périlleux par conception), l’élevage d’animaux domestiques, la chasse, la pêche, la prière, la danse, le jogging, les arts martiaux et, surtout, le yoga (bien connu pour sa dangerosité) : toutes ces activités par évidence mortifères ne méritent effectivement d’être interdites par la Loi républicaine et démocratique afin de prolonger la vie de tous les suppôts qui s’y adonnèrent trop longtemps de manière aussi excessive qu’irresponsable… socialement ?

Une vieille sagesse populaire rappelle que « les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures ». Le biopolitique, aujourd’hui incarné par une sainte alliance transnationale plus maléfique que mafia, FSB et CIA réunies, ferait bien de considérer cet adage s’il ne veut pas être balayé par une soudaine révolte généralisée qui ne viendra assurément pas d’« en haut ». De fait, après de longs mois de comportement raisonnable et de respect de mesures administratives toujours plus opaques, incompréhensibles et contradictoires, malgré son engourdissement numérique et sa tétanie sanitaire, le post-citoyen des années 2020 pourrait bien se réveiller pour cracher à la figure (délit de première catégorie) de ses cerbères démagogues et pharmacopistes pour leur faire savoir qu’il a décidé de reprendre le contrôle de sa vie et de sa mort, quoi que l’on ait pu prétendre à sa place.

La nouvelle peur de l’autre sous toutes ses formes (du proche à l’étranger, et de l’ami à l’ennemi) n’est en effet qu’une maladie inoculée par le biopolitique et le « care ». Le véritable panvirus multiforme et insidieux, c’est lui. Et s’il est une urgence, désormais, c’est bien de s’en défaire, sans concession supplémentaire sur la maîtrise de nos vies.

* Auteur de Pour en finir avec « la civilisation » (Éd. Yves Michel)

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion