La COVID-19 ne sera pas la dernière pandémie à laquelle le monde devra faire face. Afin de mieux comprendre le phénomène, nous proposons aujourd’hui le deuxième d’une série de 10 textes publiés dans le cadre d’une initiative de l’École supérieure d’études internationales de l’Université Laval.

L’une des nombreuses leçons que la pandémie de COVID-19 nous a enseignées est que nous avons, en tant qu’individus et société, une grande vulnérabilité aux menaces biologiques. Cette vulnérabilité s’étend au bioterrorisme, défini comme l’utilisation d’agents pathogènes à des fins terroristes.

En effet, qu’ils soient naturels ou développés artificiellement, les agents biologiques partagent des caractéristiques semblables. Plusieurs facteurs augmentent les risques de synergie entre des attaques bioterroristes et une pandémie, notamment l’augmentation de l’accessibilité des technologies, l’augmentation du ratio population urbaine/population rurale, l’augmentation de la densité des populations et la diminution de l’autosuffisance alimentaire des pays. Ce dernier facteur est très important, car si l’attention du public est actuellement centrée sur les maladies touchant les humains, les pathogènes peuvent également être dirigés contre les récoltes ou le bétail.

Le terrorisme cherche avant tout à créer la peur et n’importe quelle attaque bioterroriste survenant pendant une pandémie pourrait facilement déclencher la panique au sein de la population. À l’ère numérique, la peur peut être créée par ingénierie sociale au travers des espaces virtuels. Ainsi, les technologies de la communication s’invitent également dans l’équation. Il faut rappeler que la perception des faits est souvent plus importante que les faits eux-mêmes. Cette perception se déplace sur un continuum entre la réalité et le fantasme. Plus cette perception est éloignée de l’extrémité rationnelle du spectre, plus la peur peut s’installer. La désinformation et, formant un cercle vicieux, la peur elle-même, contribuent à pousser les perceptions vers l’irrationalité. Renforcée par les médias sociaux, cette peur peut aboutir à une segmentation de la population, avec des boucs émissaires (on ne peut que se rappeler de l’augmentation du racisme contre les populations d’origine asiatique au début de la crise), des exclus et des groupes qui se perçoivent comme exclus, opposés aux « bons citoyens ».

Contrôle de l’information

Ainsi, en plus de devoir gérer les effets combinés d’une pandémie et d’attaques bioterroristes, les autorités des pays cibles pourraient devoir faire face à des troubles de grande ampleur au sein de leur population. Dans le cadre d’une attaque bioterroriste dans un contexte pandémique, le contrôle de l’information (et conséquemment des perceptions de la population) est un enjeu aussi crucial que le contrôle de la diffusion des agents pathogènes, forçant à lutter simultanément sur plusieurs fronts : le front sanitaire, « biologique », avec la gestion de la santé de la population (tant pour ce qui est des malades que pour ce qui est des chaînes d’approvisionnement alimentaire) et un front idéologique, « informationnel », avec le contrôle de la propagation des messages sur les médias sociaux.

La vulnérabilité des sociétés occidentales au bioterrorisme s’explique en partie par l’absence de référentiel. En effet, la guerre biologique (dont le bioterrorisme n’est finalement qu’une forme) prend place au sein d’une double rupture, sociotechnique et culturelle, entre d’une part les sociétés occidentales et d’autre part les autres entités. Sociotechnique d’abord.

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, les pays occidentaux ont misé leur défense sur leur avance technique. Ils ont ainsi privilégié les armes technologiques (armes nucléaires, drones) par rapport aux armes biologiques.

Culturelle ensuite, car les contraintes éthiques et légales qui régissent la recherche biologique ne s’imposent pas nécessairement de la même manière partout dans le monde.

Ainsi, et indépendamment des réponses qui peuvent être apportées au niveau du système de santé (réponses dont le caractère essentiel ne saurait être remis en cause), d’autres structures de l’État se doivent également de prendre en compte ces menaces. C’est notamment le cas des services de sécurité, et en particulier des services de renseignement. Le lien entre les technologies de l’information et le renseignement est facile à concevoir. D’ailleurs, les cursus de formation en renseignement incluent de nos jours de solides bases en cybersécurité (bien que l’accent soit souvent mis sur les aspects techniques au détriment de l’étude des cybercomportements eux-mêmes). La situation est toutefois toute autre pour ce qui a trait aux biotechnologies. En effet, à cause de l’éloignement des disciplines, il est quasiment impossible d’inclure des connaissances approfondies en biotechnologies dans des cursus de renseignement tout en conservant une cohérence suffisante.

Dans un contexte de plus en plus complexe et globalisé, les enjeux technologiques (que ce soit au niveau du cyberespace ou des biotechnologies) et leurs implications (sécurité nationale, sécurité économique, sécurité alimentaire) ne doivent par être négligés. Que ce soit pour améliorer la santé humaine ou pour lutter contre les changements climatiques, la convergence des technologies est porteuse d’espoir pour l’humanité. Cette convergence peut aussi, hélas, apporter son lot de menaces. La réponse des États doit prendre en compte cette réalité évolutive dans un monde aux équilibres mouvants. C’est en grande partie par la formation, que ce soit des services de santé, des services de sécurité ou de la population dans son ensemble, que passera une solution raisonnée à ces nouveaux enjeux.

* Matthieu J. Guitton est également chercheur au Centre de recherche CERVO, Fellow de l’Institut royal d’anthropologie et éditeur en chef du journal Computers in Human Behavior.

À lire la semaine prochaine : La gestion de crise en temps de pandémie

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