Selon la Cour suprême canadienne, la présomption d’innocence serait la « clé de voûte de notre système de justice pénale ». À vision courte, ce concept désigne l’état provisoire et ambigu d’une personne accablée de suspicion, sans que sa culpabilité ne soit pour autant avérée.

Récemment, un juge considérait abusif l’effet délétère de la rumeur publique éreintant Nathalie Normandeau et les autres coaccusés. À la suite d’un arrêt de procédure, les défendeurs n’auront jamais l’opportunité de prouver leur non-culpabilité, d’observer le magistrat André Perreault.

Un justiciable n’est pas moins innocent que ceux qui seraient tentés de substituer leur propre jugement de culpabilité, a-t-il opiné. Selon lui, les conséquences du verdict de l’opinion publique pèsent souvent plus lourd que les décisions judiciaires. Très juste.

Les journalistes assument parfois une lourde responsabilité : faire ou défaire des réputations. Le journalisme d’investigation n’est pas une spécialité chimiquement pure. La passion du scoop peut favoriser la proximité, voire la collusion, entre des policiers véreux et des journalistes « quêteux ».

Les fuites policières suscitent souvent un haut fait médiatique. S’agissant du projet « Machurer » sur le Parti libéral, des journalistes de Québecor ont publié plusieurs documents provenant de cette indolente enquête de l’UPAC, l’Unité permanente anticorruption. Ils en ont bénéficié.

Copieusement bénéficiaires de fuites majeures provenant de l’UPAC, ils ont insinué une collaboration entre leurs collègues de Radio-Canada (émission Enquête) et l’UPAC. Le motif ? Les policiers souhaitaient profiter de la diffusion d’informations pour activer leur enquête.

Cette suspicion de collusion entre l’UPAC et des journalistes de la télévision d’État est à la fois mielleuse et venimeuse. Sur la base de documents fuités par l’UPAC, le Journal de Montréal a rapporté que les policiers ont évoqué un épisode de l’émission Enquête comme astuce d’investigation.

Les journalistes de Québecor ont prudemment écrit : « [r]ien n’indique que l’UPAC était la source des documents obtenus par Radio-Canada, mais les documents consultés montrent que l’unité policière est très bien informée des plans des journalistes ». Autrement dit, on suggère finement que des journalistes de l’émission Enquête collaborent avec l’UPAC.

Rappelons qu’une commission d’enquête (Chamberland) a semoncé des policiers de la Sûreté du Québec pour leur copinage avec des journalistes de Radio-Canada… et de Québecor !

Un reporter du Bureau d’enquête de Québecor encourage publiquement le coulage d’informations en utilisant la plateforme « Dossiers secrets ». Il justifie cette démarche par une fable : « Les cas d’espionnage de journalistes québécois par la police l’ont démontré : le combat pour la liberté de la presse et la libre circulation de l’information n’est jamais gagné, au Québec comme ailleurs ». Ouf !

Face au dévorant besoin de publicité de certains journalistes, faut-il émousser la règle de droit, l’éthique et les normes déontologiques pour avilir des policiers travestis en lanceurs d’alerte ?

Connaisseur du milieu judiciaire, le journaliste Yves Boisvert propose une « réflexion éthique sur la responsabilité des médias qui diffusent des éléments confidentiels issus d’une preuve en pleine enquête, sachant, ou devant savoir, que cela peut faire capoter un procès ». L’idée est louable.

Selon Boisvert, mieux vaut concentrer l’attention « sur ceux qui ont carrément violé une obligation juridique claire, un serment de confidentialité : les policiers ». On ne peut quand même pas oublier un principe fondamental : l’égalité de tous devant la loi. Les journalistes ne jouissent d’aucune immunité juridique.

En 2017, la commission Chamberland a constaté des indices navrants d’un procédé collusionnaire liant des policiers et des journalistes. A priori, chacun y trouve son profit : le policier manipule le journaliste, et celui-ci bénéficie d’informations provenant d’une source secrète. Cette liaison dangereuse comporte des risques.

L’agent de la paix qui, sans vergogne, piétine son serment de confidentialité commet des infractions déontologiques et mérite des sanctions disciplinaires. Pire encore, lorsqu’il transmet secrètement aux journalistes des documents gorgés d’informations provenant d’écoute clandestine, le policier commet une infraction criminelle.

Dans un tango périlleux, le journaliste engage sa responsabilité criminelle. En effet, la loi interdit à toute personne d’utiliser ou de divulguer volontairement – en tout ou en partie – une communication privée interceptée légalement. Cette prohibition vise la substance, le sens ou l’objet du message.

Lorsqu’un policier, avec l’aide, l’encouragement ou le conseil d’un journaliste transgresse le Code criminel, les normes de responsabilité secondaire (complicité et conspiration) entrent en ligne de compte. Peu importe qu’une personne soit l’auteur d’une infraction ou qu’elle ait aidé quelqu’un d’autre à la commettre.

Nonobstant la protection juridique d’une source reconnue juridiquement, celle-ci ne confère jamais au journaliste un blanc-seing pour violer la loi. Toute information – dite d’intérêt public – ne saurait justifier la transgression de la loi.

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