Le déroulement de la première partie des audiences sur la composante Énergie Saguenay du projet de GNL Québec a-t-il permis de respecter la mission du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) ? Cette question est soulevée par de nombreux membres de notre Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et les enjeux énergétiques au Québec (CSQGDS), qui ont pu participer aux audiences sur ce projet de liquéfaction et d’exportation de gaz fossile durant la semaine du 22 au 25 septembre.

Rappelons la mission de cette importante institution : informer et consulter les citoyens, enquêter, puis aviser le ministre responsable de l’Environnement sur les dossiers qu’il lui confie, afin d’éclairer la prise de décision gouvernementale. En matière de consultation, le BAPE s’engage à tenir des séances publiques « où le climat serein permet à chacun de poser des questions et de soumettre son opinion ».

Or, dans le cas des audiences sur Énergie Saguenay, il nous apparaît que l’impartialité et l’intégrité du processus de consultation publique ont été compromises par : 1) la nature même des informations contenues dans le résumé du dossier, conformes à la vision du promoteur et à sa volonté de scinder l’évaluation du projet global en ses deux composantes (Gazoduq et Énergie Saguenay) pourtant irréversiblement liées sur le plan opérationnel ; 2) le cloisonnement des thèmes retenus par la Commission, qui a nui à la mise en relation des différents enjeux ; 3) le choix d’experts et d’intervenants majoritairement en appui au projet ; 4) le refus de la Commission de préciser la portée de son évaluation des émissions de gaz à effet de serre ; 5) le caractère tranchant et exagérément contraignant de l’interaction avec les citoyens qui ont réussi à prendre la parole malgré les difficultés du processus ; 6) le nombre restreint de questions accueillies, en particulier de la part des participants à distance, dans le contexte d’une consultation qui concerne l’ensemble des Québécois.

Cette dynamique d’interaction était telle que jusqu’ici, les audiences ont surtout permis au promoteur de faire valoir son projet sans aborder ses nombreuses zones d’ombre. Après l’énoncé d’une question – une seule par citoyen, souvent interrompue par le président et sans possibilité de préambule adéquat –, la parole était abondamment offerte au promoteur qui pouvait ainsi élaborer, étoffer et renforcer sa position, tout en limitant conséquemment le temps alloué à d’autres questions qui auraient pu être posées par les citoyens en attente. Également, alors que les promoteurs ont pu diffuser les informations fournies par leurs consultants et faire appel à des experts mandatés par un gouvernement ouvertement en faveur du projet, il était impossible pour les porteurs de questions d’indiquer des sources d’informations alternatives. À cet effet, rappelons qu’il incombe au président d’une commission, selon le cadre normatif du BAPE, d’assurer l’équité (notamment dans le temps de parole imparti à chacun des intervenants), l’impartialité et le respect : trois engagements qui méritent ici d’être examinés. Par ailleurs, la justification du projet (sa signification dans un plan de développement intégré pour la région et, plus globalement, pour le Québec) n’a pas été abordée, comme si le bien-fondé d’Énergie Saguenay était acquis, alors que plusieurs questions des citoyens appelaient à une telle réflexion.

Or la raison d’être de ce projet – outre le fait d’offrir un débouché au gaz de l’Ouest canadien produit essentiellement par fracturation et d’acheminer à l’étranger cette énergie injustement qualifiée « de transition » – n’a pas été démontrée.

Les réponses aux questions ont été de nature instrumentale, basées sur d’hypothétiques projections de marchés (plusieurs pièces manquaient au dossier) ou appuyées par des études fournies par des firmes mandatées par le promoteur.

Quant aux réponses des intervenants gouvernementaux (dont certains étaient absents à des moments clés), elles se sont limitées aux espaces de juridiction, aux lois, règlements et procédures en vigueur, mettant en évidence une gouvernance politico-économique apparemment incapable de s’adapter aux réalités actuelles, dont celle de l’urgence climatique. Il a été impossible d’ouvrir la discussion sur une vision globale des composantes du projet, à travers l’espace (de l’Alberta jusqu’aux marchés étrangers) et le temps (le projet aura-t-il encore un intérêt en 2030 ?). De plus, la possibilité et la pertinence de projets alternatifs qui bénéficieraient des mêmes ressources (9 milliards de dollars) et d’un semblable appui gouvernemental n’ont pu être discutées.

Ainsi, en dépit du fait que la participation citoyenne ait toujours été au cœur des préoccupations du BAPE, il nous apparaît que la dynamique en place dans le cadre de cette première partie des audiences sur le tronçon Énergie Saguenay du projet commercial de GNL Québec n’était pas propice à une saine consultation ni au partage d’une information validée et complète. Il importera que la Commission procède aux ajustements nécessaires afin de respecter la mission du BAPE dans le cadre de la deuxième partie des audiences en octobre.

*Cosignataires, membres du Collectif scientifique sur la question du gaz de schiste et les enjeux énergétiques au Québec : Laurence Brière, Bonnie Campbell, Isabelle Miron, Marc Durand, Jesse Greener, Richard Langelier, Christophe Reutenauer, Jean Philippe Waaub, Sebastian Weissenberger

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