En un grand souffle noir* est le dernier recueil de poèmes de Claude Beausoleil, qui s’est éteint pendant la première vague de la pandémie de COVID-19.

Il y décrit les humeurs noires du blues qui s’expriment dans la langueur, les effluves d’alcool et les halos de fumée de cigarette. Le blues, cette longue complainte qui suggère la déprime et la noirceur de l’âme, la douleur dans le deuil, n’est pas éloigné de notre réalité immédiate et traduit bien les pertes énormes qui ont été les nôtres depuis six mois.

C’est ainsi que je perçois notre société québécoise actuellement. Alors que l’automne flamboie de doré, de rouge et d’orangé, cette beauté irisée et éphémère, qui finit au sol rapidement, s’essouffle avec l’équinoxe d’automne signant le moment où la noirceur prend le dessus sur la lumière… c’est le lot de plusieurs pans de notre communauté.

Après l’enthousiasme de la fin du confinement à l’été, les ténèbres s’installent à nouveau.

En particulier, on le signale sans cesse : les craintes pour l’intégrité du système de santé, mis à mal au printemps, qui a subi les risques, les pertes, les remises en question, voire parfois le vide de direction. Alors que la grande majorité des travailleurs ont participé par vocation et professionnalisme à la desserte de soins, plusieurs ont tout de même dû s’éloigner pour maladie, par surmenage, mais aussi, et avouons-le, par individualisme. À l’instar de ceux qui trouvaient dans le confinement la solution satisfaisante et individualiste à leurs peurs de la COVID-19, certains ont utilisé les mêmes arguments pour délaisser le réseau de la santé et les patients. Qui en laissant son poste de préposé, qui en cessant de préparer des repas, qui en favorisant la Prestation canadienne d’urgence à un poste de responsable de l’entretien.

Les statistiques, en oncologie en particulier, l’ont prouvé : le système de santé a failli à ses tâches premières à cause de la COVID-19. Cet échec, il est certes collectif, mais il est intimement ressenti par ceux qui offrent des soins. Et ils semblent loin, les plans pour résoudre les problèmes causés par l’immobilisme imposé au réseau au printemps. On questionnait déjà le leadership en santé avant la COVID-19, on doute sérieusement maintenant. Par leadership, je distingue ici la définition de la mission des mesures prises pour assurer la réalisation de celle-ci et de l’évaluation des actions prises. Pour cela, il faut des soldats, des généraux, une machine pour approvisionner les troupes. Chaque niveau a une importance primordiale dont les compétences doivent être confirmées, reconnues, attendues.

Reconnaissons-le : il faut craindre l’effritement encore plus marqué des forces en place. Il est difficile de se réaliser et de garder le moral en ce moment dans le système de santé. Passer sa vie derrière un masque et une visière, éviter de toucher autrement que pour un examen physique ou un traitement, se distancier des collègues en longeant les murs des corridors : tout contredit ce qui a incité à choisir ce travail auprès des patients. Il faut des raisons de s’investir, de croire en soi et en l’avenir, de voir le désir de la société civile de sauvegarder le système de santé et ses commettants.

Le souffle noir s’est immiscé dans les hôpitaux, les officines. Plusieurs patients le sentent bien et y vont à grand renfort de mercis et d’encouragements alors que ces commentaires devraient généralement leur être dirigés.

Il faut souhaiter que les dirigeants prennent le parti des « anges gardiens » non seulement en les identifiant ainsi, mais aussi en les écoutant et en les intégrant dans les décisions pour qu’ils puissent exprimer librement les manquements, mais aussi leurs frustrations et leur désespoir si la deuxième vague frappe avec plus d’acuité que présentement.

Au printemps, je signifiais que la population était trop vite passée outre le deuil nécessaire pour vivre ensemble la douleur, pour marquer un temps d’arrêt, pour réaliser l’ampleur. Deuils de proches, d’amis, de patients… ces deuils se transforment maintenant en perte d’aspirations, en doutes professionnels, en images négatives du lendemain. Le souffle noir obscurcit l’horizon, oblitérant la lueur qui, bien que faible, sert tout de même de guide. L’intégrité sociale passe par celle de chacune de ses composantes. Il n’en tient qu’aux actions de la population pour ne pas les solliciter indûment en évitant la propagation de la COVID-19, et au gouvernement en délaissant les élans partisans afin de permettre aux meilleures personnes de prendre les décisions en temps opportun.

* En un grand souffle noir, Claude Beausoleil, Écrits des Forges

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