La crise de la main-d’œuvre dans les centres de soins de longue durée ne doit pas nous distraire de l’importance d’entamer un débat de société plus large sur les modes d’habitation des aînés au Québec et au Canada. Un problème d’aménagement et d’architecture.

La crise de la COVID-19 a mis en exergue la vulnérabilité accrue des aînés Canadiens – particulièrement celle des résidants de centres d’hébergement de longue durée et autres complexes d’habitation collectifs pour aînés. Au Québec, 82 % des décès ont eu lieu dans des centres d’hébergement pour aînés1. Les raisons sont multiples : défaut de mesures de prévention, méconnaissance des modes de transmission du virus, combinaison de facteurs démographiques, sanitaires et environnementaux, entre autres. Or, le débat autour de la question—autant dans les médias que dans certains milieux scientifiques canadiens—s’est vite concentré sur un aspect très pointu du problème : la crise de la main-d’œuvre au sein de centres de soins de longue durée (ce qu’on appelle les CHSLD au Québec et SLD ailleurs). Un récent rapport de la Société royale du Canada, cosigné par 10 professeurs des plus importantes universités au pays, conclut qu’afin de « rétablir la confiance » des Canadiens dans le système, le « principal message sur ce qui doit être fait [est de] résoudre la crise de la main-d’œuvre dans le secteur des SLD » 2. Certes la formation, la rémunération, la rétention et les conditions de travail des « effectifs » (pour emprunter le terme de ces chercheurs) sont des composantes fondamentales pour l’amélioration des soins aux aînés.

Mais soutenir que la crise des CHSLD est avant tout un problème de personnel est illusoire et démontre une vision réductrice du problème. En réalité, le pays se réveille de cette crise face à un constat plus important : il faut repenser les modes d’habitation de nos aînés. Il s’agit d’un problème d’aménagement et d’architecture.

Force est de constater que les CHSLD (souvent hyper normalisés et peu innovants3) n’ont pas été conçus comme de véritables milieux de vie et de socialisation. Ce sont des lieux de soins mais pas de chez-soi. Or, les recherches en urbanisme, design d’intérieur, architecture et architecture de paysage démontrent l’existence de liens étroits entre la qualité de conception des espaces et le bien-être des aînés4. D’ailleurs, les travaux de Philippe Voyer, professeur en sciences infirmières de l’Université Laval, confirment que la configuration et le design des bâtiments jouent un rôle fondamental dans la livraison des soins spécialisés5. Des améliorations au travail des « effectifs » seront certes nécessaires. Mais pour rétablir un véritable lien de confiance des québécois envers le système, un débat d’ordre éthique sur les relations complexes entre les personnes et leur environnement résidentiel devra impérativement avoir lieu.

Cette transformation exige bien entendu des innovations sur le plan technique (programmes fonctionnels, codes du bâtiment, standards de construction, systèmes mécaniques, etc.).

Mais plus important encore, elle appelle à des changements plus profonds sur nos façons d’habiter, de prendre soin des autres et d’établir des liens sociaux.

D’emblée, des questions d’ordre éthique se posent : Comment les aînés souhaitent-ils habiter, socialiser et interagir avec leur milieu ? Comment répondre aux attentes et aux besoins de groupes spécifiques ? (Rappelons qu’environ 70 % des résidants d’établissements de SLD sont des femmes, 50 % des Canadiennes âgées de plus de 85 ans résident seules, et 60 % des résidants de centres de SLD souffrent d’un trouble cognitif).

Il faudra une vision politique éclairée, mais aussi une approche multidisciplinaire, partenariale et collaborative. Il sera nécessaire, par exemple, de rassembler les conditions favorables à la construction d’un plus grand nombre de logements intergénérationnels. Il sera essentiel de concevoir des milieux de vie permettant d’entretenir des liens plus étroits entre divers groupes sociaux (tels que les nouveaux arrivants et les aînés issus de communautés ethniques diverses). Il nous faudra aussi imaginer des logements plus flexibles aptes à se transformer au gré des conditions évolutives de santé physique et mentale des aînés. Enfin, on devra concevoir des bâtiments moins dépendants des systèmes mécaniques, mieux connectés avec la nature et susceptibles de favoriser des liens sociaux entre les usagers et avec leurs communautés.

Ce chantier n’est pas impossible. Depuis des années, nos meilleurs professionnels et étudiants en aménagement et en architecture réfléchissent à ces enjeux et à leurs possibles solutions. N’oublions pas que lorsque s’est manifesté le besoin, la société québécoise a fait preuve de sa capacité à repenser nos bibliothèques, nos hôpitaux et nos écoles. Ces expériences démontrent que certaines variables sont nécessaires pour atteindre la qualité : une volonté politique forte, un renforcement soutenu des compétences organisationnelles, professionnelles et techniques, un positionnement éthique éclairé, et une participation active des usagers à la réflexion sur les solutions. Si l’on souhaite véritablement « rétablir la confiance des Canadiens », il faudra maintenant relever ce défi.

*Signataires : Jean Paul Boudreau et Daniel Pearl, architectes et professeurs à l’Université de Montréal ; Paula Negron, Sébastien Lord et Juan Torres, professeurs en urbanisme à l’Université de Montréal ; Virginie LaSalle, professeure en design d’intérieur à l’Université de Montréal. Les auteurs sont des chercheurs affiliés soit à la Chaire Fayolle-Magil Construction en architecture bâtiment et durabilité, soit à l’Observatoire Ivanhoe Cambridge sur le développement urbain et immobilier de l’Université de Montréal. Anne-Marie Petter, Lisa Hasan, Benjamin Herazo, Faten Kikano, Mauro Cossu.

1 (Re)lisez le texte du Journal de Montréal

2 Estabrooks, C. A., et al. (2020). Rétablir la confiance : La COVID-19 et l’avenir des soins de longue durée. Ottawa : Société royale du Canada. Page 7.

3 Aubry, François, Yves Couturier, and Flavie Lemay. Les organisations de soins de longue durée : Points de vue scientifiques et critiques sur les CHSLD et les EHPAD. Montreal : Presses de l’Université de Montréal, (2020). Page 13.

4 Negron-Poblete, Paula et Anne-Marie Séguin, dir. (2012). Vieillissement et enjeux d’aménagement : Regards à différentes échelles. Québec, Presses de l’Université du Québec.

5 Voyer, P. ; Allaire, É. (2020) Comment transformer un CHSLD en centre Alzheimer ? Guide de transformation. Centre d’excellence sur le vieillissement de Québec du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale et Faculté des sciences infirmières de l’Université Laval. Québec.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion