Jusqu’en 1986, le seul aéroport international d’Haïti de l’époque, portait le nom de François Duvalier, le dictateur qui a dirigé le pays pendant un peu plus de 10 ans. C’est son successeur – Jean-Claude – qui a donné à l’aéroport cette identité, en guise d’hommage à son père. Parce que donner le nom de personnages historiques à des édifices, des monuments ou des rues, sert justement à ça. C’est la célébration d’une réussite, un témoignage de fierté, un insigne d’honneur à la mémoire des commémorés.

« Nous ne pouvons pas aujourd’hui essayer de modifier ou de censurer notre passé. Nous ne pouvons pas prétendre d’avoir une autre histoire. » C’est ainsi que Boris Johnson – le premier ministre du Royaume-Uni – a répondu aux demandes de militants qui souhaitaient le retrait de la statue de Winston Churchill du Parliament Square de Londres, plus tôt ce mois-ci. Johnson a raison et c’est précisément pour ça que les livres d’histoire existent. Les meilleurs ouvrages, ceux qui ne romancent pas la réalité, nous rappellent les faits, toujours en contexte et sans glorification, lorsqu’elle n’est pas nécessaire.

Aujourd’hui, à Port-au-Prince, c’est à l’aéroport international de Toussaint Louverture qu’on atterrit. Louverture a été le leader de la révolution haïtienne. Une lutte qu’il faut se rappeler, bien sûr, mais surtout qu’il faut célébrer et qui fait la fierté de tout un pays. Mais tout ça n’efface pas la mémoire de François Duvalier. Pas dans les cursus, ni dans les esprits de ceux qui ont souffert sous son régime et encore moins dans les troublants fantasmes des inexplicables nostalgiques, qui choisissent de voir la période de la dictature père-fils comme une des plus belles d’Haïti.

S’accrocher à de vieilles perceptions ne les rend pas plus vraies.

Il nous faut avoir le courage de non seulement confronter notre histoire, mais aussi de la remettre en question et de revoir comment elle nous a été enseignée.

Il nous faut un recul honnête pour regarder les faits à travers une lentille plus juste qui n’est pas uniquement celle de ceux que nous avons parfois crus des héros. Nous devons réévaluer ce qui est honorable et ce que nous ne pouvons plus prétendre l’est encore.

Le Québec ne semble pas prêt à remettre en question la mémoire de Lionel Groulx dans le tissu urbain montréalais, pour l’instant. La levée de boucliers occasionnée par la pétition proposant qu’on remplace le nom de la station de métro à sa mémoire par celui d’Oscar Peterson le prouve. La raison est la suivante : la Révolution tranquille, et ce qui l’a inspirée, demeure un terrain sacré quand il est question d’identité québécoise, et contester son héritage frontalement semble presque impossible. Or, il est urgent de dépasser la levée de boucliers, pour arriver à quelque résultat progressif.

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Le chanoine Lionel Groulx. Photo prise en janvier 1962.

D’une part, que Lionel Groulx ait été à ses heures antisémite, eugéniste et lecteur admiratif du bigot intellectuel français qu’est Charles Maurras ne peut pas être remis en question, même par les historiens les plus cléments. D’autre part, même ses plus fervents critiques ne peuvent pas contester son rôle dans la fondation de l’affirmation nationale québécoise, qui a permis l’existence même de René Lévesque et de Robert Bourassa.

Nous ne voulons pas prescrire quoi que ce soit quant au futur de la mémoire de l’homme. Nous voulons plutôt proposer un compromis. Ne serait-il pas possible que l’héritage de la Révolution tranquille et la nécessité criante d’une « révolution de l’inclusion », pour reprendre le récent mot de Tiffany Callender, puissent exister côte à côte ?

Juste à côté de la station de métro Lionel-Groulx se trouve la station Place-Saint-Henri. Débaptiser cette autre station pour le renommer Oscar-Peterson serait un geste pertinent d’un point de vue géographique, historique et inclusif, de même que du point de vue de la laïcisation, présentée comme legs principal de la Révolution tranquille par le gouvernement caquiste. Et tiens donc, pour bien entourer ce cher Groulx, pourquoi ne pas envisager cet autre changement de nom, pour une des trois autres stations le bordant : prochaine station, Leonard-Cohen.

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