Alors que les statistiques quotidiennes semblent démontrer que nous sortons de la première vague de cette pandémie historique, profitons de cette accalmie afin de réfléchir sur les leçons apprises. L’une d’entre elles concerne la protection des travailleurs de la santé et la gestion des équipements de protection individuelle (EPI).

Plus de 5000 travailleurs du réseau de la santé québécois ont contracté la COVID-19 et sont devenus, malgré eux, des vecteurs de transmission et ont contribué à infecter des patients vulnérables (notamment en CHSLD), des collègues du milieu de la santé ainsi que des membres de leur famille et de leur communauté. Ces travailleurs infectés, devenus eux-mêmes des patients, ont également eu besoin de soins hospitaliers aigus et malheureusement certains en sont décédés. L’absence prolongée de ces travailleurs de la santé a aussi contribué à accentuer la pénurie de la main-d’œuvre tout en augmentant la pression sur les équipes en place.

Pourtant, les signaux d’alarme étaient visibles bien avant le début de l’éclosion au Québec, notamment avec ce qu’on voyait dans des pays comme l’Italie, dont la situation avait dégénéré, alors que près de 17 000 professionnels de la santé furent infectés – dont 167 médecins sont rapportés morts à ce jour, selon la Federazione Nazionale degli Ordini dei Medici Chirurghi e degli Odontoiatri.

Récemment, on estimait à 450 000 le nombre de travailleurs de la santé qui avaient contracté la COVID-19 à l’échelle mondiale, et à plus de 600 le nombre d’infirmières qui en étaient décédées, selon Conseil international des infirmières. Et avant la COVID-19, il y a eu des urgences sanitaires telles que le SRAS, la grippe H1N1 et, plus récemment, le virus Ebola qui auraient dû mieux nous préparer pour cette pandémie.

L’approvisionnement des EPI aurait dû venir de la Réserve nationale stratégique d’urgence (RSNU) du Canada, qui contient des fournitures médicales, dont les fameux masques N95, pour distribution aux provinces à leur demande lors de catastrophes naturelles ou d’éclosions de maladies infectieuses. Mais voilà qu’on apprend que la RSNU, sous la responsabilité de l’Agence de santé publique du Canada, a souffert d’un sous-financement chronique et que la quantité d’EPI était nettement insuffisante, démontrant notre grande vulnérabilité et notre dépendance envers d’autres pays.

La crainte d’une pénurie d’équipements de protection individuelle a sérieusement limité leur utilisation au début de la pandémie, alors que sur le terrain, il était très clair que la transmission communautaire avait bel et bien commencé.

Des travailleurs ont contracté le virus durant cette période critique où l’organisation des soins et la disponibilité du matériel étaient déficientes.

Négocier son N95

Puis, il y a eu cette constante impression que les directives de santé publique et les protocoles d’utilisation des équipements de protection s’adaptaient davantage au niveau des réserves plutôt qu’en fonction des données scientifiques en constante évolution sur les risques réels de transmission du virus. Dans ce contexte, des solutions alternatives sous-optimales et artisanales, telles que la réutilisation ou la désinfection des N95, ont été déployées afin de pallier le manque de matériel certifié bien que ceci ne devrait pas être justifiable.

Certains gestionnaires des centres hospitaliers ont hérité de l’ingrate tâche d’être les « gardiens des EPI ». Cela a créé des situations anxiogènes et de vives tensions dans des milieux de soins où les professionnels de la santé devaient « négocier » leur équipement de protection individuelle, notamment leur N95. De toute évidence, les réserves n’étaient pas les mêmes dans tous les milieux de soins.

Il y a une nécessité de créer une coordination régionale ayant un accès à des inventaires en temps réel et une capacité de distribution flexible et rapide vers les établissements ayant des besoins criants.

Un sondage effectué par l’Association médicale canadienne (AMC) auprès d’environ 5000 de ses membres à la fin du mois de mars indiquait que près de 75 % des travailleurs de la santé ne connaissait pas le statut des réserves d’EPI de leur établissement. Plus de 30 % des membres ont affirmé avoir manqué (ou être à deux jours de manquer) de N95, de visières, de lunettes ou de blouses de protection. Dans le même sondage, 90 % des répondants indiquaient qu’une plus grande provision d’EPI contribuerait à réduire leur anxiété entourant la pandémie. Comme le mentionnait le président de l’AMC, le DSandy Buchman, lors d’une allocution devant le Sénat le 20 mai dernier : « Nous n’autoriserions jamais un pompier à entrer dans un bâtiment en feu sans protection adéquate ». C’est pourtant ce que de nombreux travailleurs de la santé ont été contraints de faire lors de cette première vague.

Il faut agir maintenant

Les gouvernements doivent faire mieux pour protéger leurs travailleurs de la santé. Ceci doit être prioritaire. Les « anges gardiens » veulent avant tout faire leur travail dans des conditions humaines et sécuritaires avec un équipement de protection individuelle dans lequel ils ont confiance. Ils acceptent le risque du métier, mais pas le risque supplémentaire d’être mal protégé et de compromettre indûment leur santé. D’ailleurs, le Collège des médecins du Québec, de concert avec l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec ainsi que l’Ordre des inhalothérapeutes du Québec, ont écrit une lettre sur le sujet : « Entre le devoir professionnel de soigner et celui de se protéger ». Leur position est claire : « En période pandémique, et dans les situations où les EPI se font rares, les soignants ont le devoir de se protéger avant d’agir. Un soignant qui, ne disposant pas de l’EPI adapté, devrait renoncer à prodiguer un soin à un patient pour se protéger doit en faire part à son supérieur ainsi qu’aux membres de l’équipe interdisciplinaire, voire aux responsables institutionnels ou aux autorités de santé publique concernées. »

Pendant cette accalmie, il est très clair que les efforts de regarnir nos réserves doivent se poursuivent sans relâche et qu’à moyen terme, il est nécessaire que le Canada et ses provinces deviennent souverains en termes d’EPI comme pour d’autres équipements médicaux et produits pharmaceutiques susceptibles d’être utilisés en grande quantité lors d’une pandémie.

Le réseau de la santé doit également tout mettre en place pour assurer la protection des soignants et accroître leur sentiment de sécurité et ainsi réduire leur détresse psychologique. Cela passe aussi par l’application du port du masque universel pour tous les soignants et patients en milieux de soins.

*François de Champlain, Jean-Simon Létourneau et Richard Fleet sont urgentologues et étudiants à l’International Masters for Health Leadership de l’Université McGill ; Bernard Mathieu est urgentologue et président de l’Association des médecins d’urgence du Québec

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