Moins de trois semaines après l’exécution en direct de George Floyd à Minneapolis, il y a eu quelque chose d’odieux dans le harcèlement auquel on a soumis le premier ministre François Legault pour qu’il « avoue » l’existence d’un racisme systémique au Québec, à partir de témoignages démontrant qu’il ne s’agit pas que d’aberrations individuelles.

Comme si on était aux États-Unis, comme si nous étions des Américains.

Rappelons que ce concept de racisme systémique est beaucoup plus politique que scientifique. C’est aux États-Unis, où le racisme est virulent et violent – contrairement à ici –, qu’il a pris naissance dans les années 1960.

Rappelons également que la question raciale a été au cœur de l’aventure nationale américaine depuis ses origines, en passant par une guerre de Sécession qui s’est menée sur la question de l’esclavage dans les années 1860 et les lois ségrégationnistes adoptées ultérieurement par plusieurs États du Sud.

Au Canada anglais, le concept de racisme systémique a été recyclé par les adeptes d’une idéologie multiculturelle se voulant elle aussi au cœur du pays refondé en 1982 par Pierre Elliott Trudeau. Plus que les Noirs, ce sont les autochtones qui sont au Canada l’équivalent des Noirs américains en matière de racisme.

Certains ne craignent pas le ridicule en faisant le lien entre l’esclavage extrêmement marginal qui a déjà existé en Nouvelle-France et la tragédie raciale américaine.

Le racisme existe bel et bien ici, mais il n’est clairement pas au cœur de l’aventure collective québécoise comme aux États-Unis et, dans une moindre mesure, au Canada anglais depuis 1982.

Appliquer le concept de racisme systémique à la société québécoise ne tient pas la route sur les plans historique, identitaire et sociétal.

Universalisme québécois

C’est cette différence fondamentale du Québec avec son environnement nord-américain, beaucoup plus qu’une supposée incapacité à distinguer le racisme systémique du racisme systématique, qui justifie le refus du premier ministre Legault de se coucher devant les références américaine et canadienne-anglaise en ce domaine.

Loin de s’en excuser, le Québec issu de la Révolution tranquille doit être fier de ne pas se voir comme une « société racialisée », pour employer le jargon politiquement correct en ce domaine, adhérant plutôt à la grande pensée universaliste issue du siècle des Lumières européen il y a 250 ans.

Cet universalisme, où l’on tient mordicus à ne pas faire de différence entre des citoyens tous égaux en statut, apparaît pas mal plus progressiste que des concepts importés des États-Unis où l’animosité, voire la haine, règne entre les groupes.

Au-delà de ces considérations historiques et identitaires, le débat sur le racisme systémique est contre-productif dans la mesure où il est source de tensions et de divisions en ce qui a trait à un enjeu qui ferait autrement consensus de façon très large dans la société québécoise : la lutte contre le racisme.

C’est au mieux une diversion idéologique aboutissant à des déclarations creuses qui ne sont pas suivies d’actions concrètes. Que l’on pense aux belles paroles de Justin Trudeau dans un dossier autochtone plus pourri que jamais, malgré que le premier ministre canadien soit allé jusqu’à affirmer que les Premières Nations avaient fait l’objet d’un génocide par le pays qu’il dirige.

Speak White

Ce débat est également contre-productif parce qu’il risque de diminuer la sympathie des Québécois pour les problèmes de racisme vécus par certains de leurs compatriotes, la majorité francophone, qui constitue une minorité au sein du Canada, ne se sentant pas respectée dans cette affaire.

Les participants à la manifestation du 31 mai à Montréal contre le racisme – pas seulement celui sévissant aux États-Unis mais également celui existant ici – étaient pour la plupart francophones, comme la majorité des Noirs québécois.

L’absence totale de français dans les pancartes fournies par les organisateurs montrait le manque de respect de ces derniers pour la société distincte québécoise, de même que leur alignement sur les références américaines et canadiennes-anglaises en ce domaine.

Cela rappelait les accusations d’appropriation culturelle, en anglais seulement, contre la pièce SLAV de Robert Lepage il y a deux ans, nouvelle version du Speak White d’autant plus ironique qu’elle prenait place dans une manifestation contre le racisme dans la seule société francophone du continent.

Rapportée par Le Devoir, La Presse et Le Journal de Montréal, cette absence du français fut passée sous silence de façon troublante par la plupart des commentateurs francophones. Plusieurs d’entre eux choisirent plutôt de mettre l’accent, non pas sur le refus du racisme à l’origine de la manifestation, mais bien sur le prétendu racisme systémique de la société québécoise.

Preuve, s’il en était besoin, que cette dernière est désormais pénétrée – plus les élites que le peuple – par un multiculturalisme qui lui était au départ étranger et qui a été en partie adopté en 1982 pour remettre le Québec à sa place.

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