Partout dans le monde, les scientifiques ont expliqué les liens étroits entre la pandémie actuelle et la dégradation de la nature. Nous espérions que le gouvernement québécois considère cette crise comme une alarme et redouble de vigilance dans ses mesures de relance économique, de façon à mieux protéger les écosystèmes et éviter de reproduire à l’avenir pareilles crises sanitaires. De tout temps, les grandes crises ont été l’occasion de changements majeurs, pour le meilleur ou pour le pire. Alors, qu’est-ce que le gouvernement Legault entend changer pour le Québec de l’après-COVID-19 ?

Nous en avons eu un aperçu la semaine dernière, quand ce gouvernement a déposé le projet de loi 61 visant la relance de l’économie par l’accélération d’au moins 202 projets d’infrastructure. Pour démarrer rapidement ce plan de relance, on permet des assouplissements dans les processus d’évaluation environnementale. Un mécanisme de compensation financière est aussi introduit pour la destruction d’habitats, dont pour des espèces menacées, sans d’abord chercher à éviter ou minimiser cette destruction. Le premier ministre a tenté de nous rassurer en affirmant qu’on n’essaie pas de réduire les exigences environnementales, mais qu’on veut seulement raccourcir les délais et « sauter des étapes ».

Ces derniers jours, on a aussi appris que le ministre Benoit Charette veut que son ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) entre dans une « nouvelle ère » en instaurant une « culture d’accompagnement » des entreprises, considérées comme ses clients, et traite leurs demandes comme si le Ministère en était « le promoteur ». Pourtant, le MELCC a comme énoncé de mission de protéger l’environnement « au bénéfice des citoyens et citoyennes ». Comme tout l’appareil gouvernemental, ce ministère devrait donc se comporter comme une autorité publique, garante de la défense du bien commun et de l’intérêt général. Ce qu’il y a de particulièrement troublant dans ce changement de culture, c’est qu’il a commencé à s’opérer avant les premiers cas de COVID-19 au Québec. Sous prétexte de mesures d’exception, le projet de loi 61 facilite cette dérive du rôle du MELCC en assouplissant les règles environnementales et en offrant aux entreprises la possibilité de payer pour détruire la nature.

Si l’on veut accélérer la mise en chantier de projets d’intérêt public, sans sacrifier au passage la protection de l’environnement et sans prêter flanc aux risques de magouilles autour des contrats publics, il faut ajouter du personnel dans les ministères et organismes publics responsables de la planification et de la surveillance, non pas court-circuiter ou affaiblir les processus d’évaluation de projets. La réalité, c’est qu’à l’instar de la Régie du logement ou de la CNESST, les délais sont longs au MELCC parce qu’il n’y a pas assez de fonctionnaires. Une fois les autorisations environnementales émises, il n’y a d’ailleurs plus qu’une petite fraction des projets qui font l’objet d’une inspection pour s’assurer du respect des exigences. Le MELCC est depuis trop longtemps le parent pauvre du gouvernement, avec un budget d’environ 0,3 % du budget total du gouvernement.

La meilleure façon de raccourcir les délais sans réduire les exigences environnementales, c’est d’offrir beaucoup plus de moyens à ce ministère.

Plus largement, ce plan de relance axé sur le béton — au profit de certains emplois typiquement masculins — est loin d’être suffisant pour régler les crises sociale, climatique et environnementale qui sévissaient avant la COVID-19. Déjà, des mesures de relance par l’emploi public auraient un effet beaucoup plus dynamisant et structurant pour les économies régionales que le simple octroi généralisé de contrats publics, tout en permettant la mise en œuvre de politiques publiques, dans plusieurs domaines, au service de tous et toutes.

Les interventions majeures des gouvernements pour faire face à la pandémie montrent que nous sommes capables de relever les défis qui nous attendent. La société québécoise ne doit pas rater cette occasion d’entamer de vastes changements vers une société et une économie plus viables, qui réduisent les inégalités sociales et respectent la capacité de support des écosystèmes. Apprenons de nos erreurs passées et assurons-nous de bâtir une économie qui répare les dégâts causés à la nature et accroît la justice sociale, sinon c’est toute la société qui en paiera le prix.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion