Le 26 mai 2019, La Presse a publié la préface de La vie dans l’espace public – Comment l’étudier, version française de l’ouvrage fondateur de Jan Gehl et Birgitte Svarre.

Ce texte écrit par les mairesses Valérie Plante et Anne Hidalgo rappelle l’importance de sortir du « paradigme qui a guidé le développement de nos villes jusqu’à tout récemment, axé sur les routes et les automobiles », et d’agir collectivement pour bâtir « des villes plus dynamiques, plus durables, plus inclusives et plus solidaires. Autrement dit, des villes tournées vers l’avenir ».

Un an plus tard, la question se pose avec une acuité renouvelée : que veut-on pour la ville de demain ? Le déconfinement progressif et l’arrivée de la belle saison amènent une pression supplémentaire sur l’espace public, renforçant la nécessité de repartager les rues pour accommoder au mieux cette nouvelle réalité. La Ville de Montréal a réagi rapidement en proposant un plan de déplacements estival dans le but de favoriser les déplacements actifs et le respect des règles de distanciation.

Ce passage à l’action ambitieux séduit autant qu’il rebute, réveillant les inquiétudes classiques vis-à-vis de la diminution du stationnement et de l’accessibilité automobile aux commerces. Mais les discours relayés dans l’espace médiatique traduisent des perceptions, pas des faits : pour en récuser le fondement ou les valider, iI est essentiel d’aller récolter des données probantes sur les usages, la mobilité et l’économie locale.

Car si les chiffres sur la circulation automobile sont connus, paradoxalement, on dispose encore de peu de données sur les déplacements faits à pied et à vélo ou la manière dont l’espace public est réellement utilisé par la population. Pourquoi les municipalités québécoises ne saisiraient-elles pas l’occasion de mesurer l’impact réel des réaménagements actuels pour éclairer les décisions qui feront la ville de demain ?

Car si le contexte de pandémie impose une nouvelle réalité éprouvante pour beaucoup, le caractère exceptionnel de la situation en fait également un formidable laboratoire pour tester d’autres façons de circuler, de consommer et de profiter pleinement de nos espaces publics. Il est évident qu’il ne faut pas nuire aux commerces, mais alors que leur équilibre est en péril, il est temps d’expérimenter de nouvelles réponses et d’en analyser la portée réelle par des observations de terrain et des données économiques.

Car il n’a jamais été prouvé que maintenir du stationnement et un accès automobile garantit la vitalité économique : les grandes artères commerciales déclinent et plusieurs études montrent qu’au contraire, c’est la voiture qui peut être un inconvénient au dynamisme commercial.

Conscientes de ces enjeux, des métropoles de premier plan comme Toronto, New York ou Bruxelles s’engagent désormais pour apaiser grandement la circulation véhiculaire, redonnant de la place aux piétons et aux cyclistes.

Alors, oui, revoir le partage de la rue oblige à un changement de pratiques important, mais puisque l’on parle de soutenir le commerce local, de rester actif physiquement et de limiter nos déplacements à la zone autour de notre résidence, n’est-il pas sensé de se donner la chance de tester des mesures facilitant une mobilité active et de proximité ?

Aujourd’hui citées comme modèles d’aménagement, la piétonnisation de la rue Stroget à Copenhague et plus récemment celle de Times Square à New York ont elles aussi suscité bien des inquiétudes lors de leur mise en place. L’être humain est souvent réticent aux changements brusques et a besoin de temps pour s’approprier un nouvel environnement. Le contexte actuel nous offre une occasion de créer de nouvelles habitudes ; osons transformer, pour quelques mois, nos espaces publics en faveur des déplacements actifs et observons de près l’impact de ces choix sur le dynamisme économique, la qualité de vie et le bien-être des citoyens.

Et si le réaménagement rend effectivement certaines rues plus difficilement accessibles aux automobilistes venant de plus loin, peut-être que beaucoup redécouvriront aussi le plaisir de s’approvisionner à proximité et que, finalement, à Montréal comme à l’extérieur, on assistera à une transformation progressive de la mobilité, mais aussi de l’offre de produits locaux au cœur de chaque quartier.

La recette est sous nos yeux : expérimenter, documenter et utiliser les données récoltées pour orienter de manière éclairée la manière de bâtir la métropole de l’avenir.

Ne construisons pas nos politiques urbaines de demain sur des expériences anecdotiques, mais utilisons plutôt les prochains mois et ce qu’ils vont nous dire au profit de milieux de vie durables pour une ville post-pandémie.

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