Cette affirmation d’une préposée aux bénéficiaires, elle a été dite bien avant la COVID-19.

C’était lors de l’atelier de lancement, en novembre 2017, de la démarche OPUS-AP, projet lancé au Québec qui vise à réduire le recours aux antipsychotiques en CHSLD pour les personnes présentant des symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD), et ce, par des approches non pharmacologiques.

Nous venions de terminer cette journée de formation où il y avait des infirmières, des pharmaciens, des médecins, des gestionnaires et des préposés aux bénéficiaires. On a demandé aux participants ce qu’ils souhaitaient le plus pour démarrer ce grand projet. Et il y a eu cette préposée aux bénéficiaires qui s’est levée et qui a dit haut et fort cette phrase : « Nous voulons, comme préposés aux bénéficiaires, être considérés comme des professionnels. »

Les phases 1 et 2 de la démarche OPUS-AP sont maintenant terminées depuis mars 2020. Les résultats de la phase 1 ont montré que la déprescription d’antipsychotiques (cessation ou diminution de dose) a été réalisée auprès de 86 % des 220 résidants chez qui elle a été tentée. En phase 2, avec une cohorte de 1402 résidants chez qui l’approche non pharmacologique a été tentée, ce fut une déprescription de 77,1 % (cessation dans 47,1 %, diminution dans 30,0 %).

Ces taux de déprescription font l’envie des autres provinces canadiennes. Ces résultats ont été atteints grâce à deux activités : la formation des intervenants, dont les préposés aux bénéficiaires, et le travail interprofessionnel dans les unités de soins.

Pour favoriser la collaboration interprofessionnelle, un incontournable a été mis en place : le CAUCUS. Ce dernier consiste en une rencontre de 30 minutes où tous les membres de l’équipe partagent des informations sur un résidant pour comprendre ce qui se passe en période d’agitation ou d’agressivité et pour planifier un plan d’intervention non pharmacologique adapté. Qui pensez-vous est au centre de cette approche ? Le préposé aux bénéficiaires.

C’est l’intervenant qui est le plus en relation quotidienne avec l’aîné, c’est lui qui adapte son approche de soins aux particularités de la personne hébergée, qui trouve des stratégies pour changer les idées du résidant, c’est lui qui partage avec l’équipe ses bons coups.

Ce sont ces stratégies qui peuvent remplacer la prescription de médicaments évitables ou inappropriés et leurs divers effets indésirables sur la personne.

« Il y a toujours des gens qui sont réticents, mais le fait qu’on a justement instauré des caucus leur a permis d’assister et de prendre en charge une partie de ce qu’on faisait et de se sentir impliqués. Plus on leur donnait de l’information, plus ils comprenaient et ça a facilité le travail », selon une infirmière-chef d’unité.

Une évaluation a été faite par le chercheur Yves Couturier de l’Université de Sherbrooke sur ce que suscitait la démarche OPUS-AP chez les équipes participantes. Il est ressorti de cette évaluation que le projet a suscité un engagement profond des acteurs de terrain, dont les préposés aux bénéficiaires. Ceux-ci ont le sentiment de participer à une œuvre importante et nécessaire qui leur permet de réaliser concrètement leur sincère intention de bientraitance.

Ils constatent aussi que les résidants sont plus actifs et que leurs proches en sont heureux. Ils observent que les comportements problématiques peuvent se gérer plus facilement et soulignent une meilleure collaboration interprofessionnelle favorable à la reconnaissance de leur contribution et de leurs compétences.

Toutefois, l’évaluation a aussi montré que 83 % des équipes engagées ont vécu des changements dans la composition de leurs équipes. Ces remaniements ont eu des répercussions négatives sur près de 40 % d’entre elles. Ce que l’on sait et demande depuis des années : du personnel soignant en nombre suffisant et des équipes stables, formées et accompagnées pour intervenir adéquatement auprès des résidants avec troubles neurocognitifs.

Ainsi, si nous voulons rendre attractifs les milieux de soins à nos aînés à cette profession de préposé aux bénéficiaires, il faut plus que des incitatifs financiers. 

D’abord, il faut allouer les ressources nécessaires pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle, pas seulement pour répondre aux besoins de base.

Il faut reconnaître leur rôle actuel et potentiel dans les soins globaux donnés aux aînés, particulièrement dans l’approche non pharmacologique, scientifiquement reconnue comme efficace. Nous pouvons témoigner de leur contribution aux résultats d’OPUS-AP et nous avons été témoins de leur fierté d’y avoir participé comme professionnels. 

Alors, attribuons les ressources nécessaires pour la stabilité des équipes, donnons-leur un salaire décent, reconnaissons leur contribution, et ainsi, nous aurons des professionnels valorisés par leur engagement auprès de nos aînés.

Peut-être devrait-on commencer en changeant leur titre de préposé aux bénéficiaires par « aide-soignant » comme en France.

* Marie-Andrée Bruneau est gérontopsychiatre à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal ; Yves Couturier est professeur titulaire au département de travail social à l’Université de Sherbrooke et Jacques Ricard est coordonnateur provincial de la démarche OPUS-AP (Optimiser les pratiques, les usages et les soins-antipsychotiques) 

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