Récemment, deux groupes citoyens ont obtenu des réponses similairement décevantes de la Cour supérieure du Québec.

Le 25 février dernier, les citoyens ont perdu sur toute la ligne leur action collective intentée contre l’entreprise Éoliennes de l’Érable qui exploite un parc de 50 éoliennes implantées en milieu habité dans le Centre-du-Québec.

Les citoyens se plaignent du dérangement occasionné par la construction du parc, du bruit engendré par les éoliennes et d’une dévaluation de leur propriété. La petite communauté n’est pas arrivée à convaincre la juge des préjudices qu’elle subit depuis l’implantation du parc éolien et de la responsabilité d’Éoliennes de l’Érable dans la situation. La juge reproche entre autres aux citoyens de s’être opposés aux éoliennes, ce qui expliquerait, selon elle, qu’ils disent aujourd’hui en subir un trouble anormal de voisinage.

Le 4 mars, ce sont les citoyens de Limoilou, à Québec, qui ont perdu l’action collective intentée contre l’Administration du port de Québec et la Compagnie d’Arrimage de Québec. Les citoyens souhaitent que cesse la contamination de leur milieu de vie par la poussière générée par les activités de transbordement à ciel ouvert de minerai en vrac d’Arrimage Québec. Le juge n’a pas été convaincu des préjudices subis par les citoyens, et surtout du lien de causalité entre la présence de poussière dans les quartiers avoisinants du port et les activités de l’entreprise.

Ces batailles judiciaires, reprises modernes du combat de David contre Goliath, ont duré environ sept ans dans les deux cas.

Elles ont été portées à bout de bras par des citoyens, MM. Rivard et Bourque dans l’Érable et Mme Lalande et M. Duchesne à Québec, dont le courage et la détermination méritent d’être soulignés. Au nom du bien commun, bien plus que pour leur seule personne, ces gens ont sacrifié beaucoup de leur qualité de vie pendant ces années.

L'échec des institutions

Ces batailles ont dû être menées par des citoyens parce que tous les autres acteurs institutionnels ont failli à la tâche de les protéger contre des activités industrielles d’une telle ampleur en milieu habité. Les deux jugements ont banalisé les nuisances, comme si les citoyens se lançaient dans de telles batailles pour se désennuyer. Or, pour eux, ce n’est pas un jeu ou un passe-temps : c’est de leur milieu de vie, de leur environnement et de leur santé qu'il s’agit.

Ces affaires devraient se régler en amont des procédures judiciaires, dans nos enceintes parlementaires et dans l’intérêt du public, avec l’appui de données scientifiques produites par nos agences de santé publique et nos ministères de l’Environnement. Devant les tribunaux, les forces sont tellement inégales qu’on comprend aisément que David morde la poussière.

La situation est préoccupante : comment des citoyens, même lorsqu’ils ont accès au soutien financier du Fonds d’aide aux actions collectives, peuvent-ils rivaliser avec les ressources que sont prêtes à dépenser les grandes entreprises pour leur « droit à une défense pleine et entière » ? Comment les citoyens dans de tels contextes peuvent-ils arriver à produire des expertises scientifiques et techniques rivalisant avec celles de leurs adversaires, qui ont, eux, accès aux installations et à toutes les données d’opération utiles, souvent cachées derrière le secret industriel ?

Pour prouver la causalité d’une pollution ou d’un problème de santé environnementale, les citoyens doivent faire la preuve que le bruit, la poussière, la contamination, etc., sont la faute de l’entité menée devant les tribunaux. Or, les universités sont pleines d’experts qui passent leur carrière à tenter de peine et de misère d’établir ces liens ; la pollution a ceci de pernicieux qu’elle se répand sans certification d’origine contrôlée.

Devant les tribunaux, les grandes entreprises ont le beau rôle : elles n’ont qu’à semer le doute dans l’esprit du juge quant à ce lien de causalité.

Quand les institutions que nous nous sommes collectivement données pour protéger les citoyens des activités industrielles, les informer et les inclure dans les processus de prise de décision n’exercent pas leur plein pouvoir, les débats qui doivent se tenir dans l’espace public se tiennent derrière des portes closes, selon des règles que maîtrisent parfaitement les entreprises et leurs avocats.

À la lumière de ces deux jugements, une question émerge : si cet ultime recours pour obtenir justice n’en est pas un, que reste-t-il alors aux citoyens ?

* L’auteure est professeure associée au Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement à l’UQAM.

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