Il y a 12 ans, j’ai eu le plaisir d’être invité par une université de Wuhan pour y donner une conférence scientifique. De l’aéroport à l’hôtel, le trajet a été long, constamment stoppé par des travaux routiers sur des kilomètres. Des dizaines de travailleurs affairés, du matériel lourd. Deux jours plus tard, à ma grande surprise, sur la même route qui me ramenait à l’aéroport, le chemin était libre et tout était complété. Le miracle chinois à l’œuvre!

Peu après, j’entamais des travaux pour rénover une cuisine. Ils se sont éternisés pendant quatre mois ! Permis, architecte, ingénieur, matériaux... Une cynique comparaison vient facilement à l’esprit. Mais il y a chez nous des normes, des usages, un respect des travailleurs. On ne peut comparer la Chine au Québec, même si quelques fois, on aimerait ici passer outre aux normes qui entraînent délais et frustrations, et ce, que l’on soit simple citoyen ou premier ministre. Réaliser un projet, changer des façons de faire implique ici de respecter lois et droits qui ont été développés dans un esprit de liberté et de responsabilité. Notre société a forgé ses us et coutumes, des mesures institutionnelles qui ont subi l’épreuve du temps pour justifier leur pérennité.

Un rempart

De la même façon, dans le respect de la démocratie, le Québec et le Canada ont conservé un système parlementaire qui permet et suscite l’expression de l’appui et de l’opposition aux lois. Qui oblige à un temps d’arrêt pour bien en évaluer les impacts. Et qui donne un visage et une voix à ceux qui ne se retrouvent pas dans une législation proposée. Ce droit à la parole et à l’opinion, dissonante mais raisonnable se veut un rempart à l’expression désordonnée de demandes, à l’usage de moyens de pression en escalade, au recours constant aux tribunaux.

Alors même qu’une réforme parlementaire est proposée, on n’a jamais tant parlé d’accélérer le processus d’adoption de lois, comme si cette conclusion rapide permettra vraiment de changer la société du jour au lendemain. 

Mais dans ce monde connecté sur l’instantané et d’impressions médiatiques, il semble que la proposition soit plus importante que son application dans le respect de tous et le respect d’un processus. Il faudrait concomitamment poser la question de la pertinence des acteurs actuels dans la présentation de lois, de leur critique, de leur défense et de leur adoption.

Au-delà des crises ponctuelles

Au cours des dernières semaines, on a vu émerger divers commentaires sur une prétendue omerta qui règne dans le domaine de la santé en lien avec la dénonciation de dysfonctionnements sévères. Personne ne doute de la présence de ratés dans le système de santé, mais du même souffle, on ose croire à l’introspection qui y est implantée pour viser à l’amélioration. Il ne s’agit pas de dénonciation, mais d’une action visant la qualité et l’acquisition de nouvelles façons de faire. Cependant, la prémisse sous-tend que des doutes et inquiétudes peuvent être exprimés, même s’ils remettent en question des affirmations politiques, des vérités désirées, des promesses proclamées. En cette ère de politisation de toute l’aire publique, il y a lieu d’avoir des inquiétudes sur l’intégrité de cette prémisse.

En plus de 30 ans de formation et de pratique médicale, j’ai entendu chaque année les médias rapporter les problèmes de congestion des urgences, comme si cela incarnait l’essentiel des enjeux du réseau de la santé. Pourtant, c’est un leurre qui doit prescrire un discours long et circonstancié devant mener aux réels questionnements : avons-nous des objectifs de santé concertés amenant des budgets et un cadre de gestion conséquents ? Nul gouvernement n’a su répondre pleinement à cette question, réagissant aux crises ponctuelles, cherchant à imputer des fautes, implantant réformes et règlements qui devaient tout réinventer le lendemain de leur adoption. Mais à l’instar de la rénovation de ma cuisine, une telle refonte ne peut se faire sans temps, sans respect des normes, des droits, des responsabilités de chacun. Le résultat ne peut être immédiat.

Tout n’est pas urgent

Wuhan a réagi à la récente épidémie du nouveau coronavirus en construisant d’énormes nouveaux hôpitaux avec une rapidité inconcevable ici.

L’adaptabilité est-elle l’orpheline de nos sociétés démocratiques ? Sommes-nous devenus incapables de comprendre les nouvelles nécessités et de monter une réponse urgente selon la priorité ? Ou avons-nous perdu confiance dans le domaine politique et médiatique pour établir les priorités qui devraient susciter un dépassement des conventions pour un bien collectif ? En effet, tout ne peut urger au point de restreindre le droit de parole, de précipiter des programmes, ou simplement parce qu’on a obtenu ponctuellement plus de votes.

La COVID-19 ne survient pas tous les ans... Il est en fait ardu de lister des sujets autres que la sécurité et la santé publiques qui obligent au sentiment d’urgence.

Le domaine de la santé ne peut être réduit à la gestion des urgences ; ainsi en est-il de l’espace public.

Il y a des moments définis pour démontrer compétence et leadership en agissant rapidement quand la situation l’exige... seulement.

Primum non nocere, premièrement ne pas nuire. Ce principe médical maintes fois réitéré pendant la formation suggère la prudence, l’attention. Oui, le changement, l’innovation et la remise en question sont bons, mais ils n’assurent pas une évolution positive. Il n’en tient qu’à nous tous de bien conserver nos principes de droit d’expression respectueux quand les options nouvelles se présentent en santé, en sécurité publique, en éducation, en affaires autochtones, en protection de l’enfance ou autre sphère sociale.

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