En réponse à la chronique de Mario Girard, « Une fierté fragmentée », publiée dimanche

Dans sa chronique, Mario Girard fait état de certains conflits au sein des mouvements LGBTQ+ au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde, qui tendent à se matérialiser lors des célébrations de la fierté.

Non seulement la chronique décrédibilise-t-elle les enjeux pour lesquels se battent certaines franges plus marginalisées de la communauté LGBTQ+, mais elle souffre d’un manque de contexte et de nuances nécessaires pour bien saisir ces revendications.

Mario Girard commence sa chronique en soulignant les émeutes de Stonewall. Ces émeutes ont certes une importance incontestée dans la mémoire collective des mouvements LGBTQ+ en Amérique du Nord.

Or, il convient de rappeler, comme l’a fait récemment Beverly Bain, professeure à l’Université de Toronto, dans The Conversation Canada, le rôle clé qu’y ont joué deux femmes trans racisées, Marsha P. Johnson et Sylvia Rivera, pionnières de la lutte LGBTQ+ aux États-Unis.

Leur invisibilité, dénoncée par un bon nombre de chercheuses et de chercheurs, reflète l’invisibilité généralisée au fil du temps des luttes menées par les lesbiennes et les personnes trans, mais aussi les luttes menées par les personnes non blanches, ici même à Montréal. 

Autrement dit, le récit collectif des luttes LGBTQ+ n’est pas neutre et, au contraire, il tend à refléter la perspective et les réalités des franges les plus dominantes de cette communauté, soit les hommes gais blancs cisgenres.

À cet effet, bien que l’égalité juridique soit atteinte à certains égards, l’égalité sociale peine à se concrétiser. Un rapport produit par le Conseil québécois LGBT et publié en 2017 révélait les nombreuses discriminations que subissent les personnes racisées LGBTQ+ au Québec, que ce soit dans la recherche d’un logement ou dans l’accès à l’emploi. Le rapport faisait de plus état de la vulnérabilité accrue des personnes racisées LGBTQ+ face aux violences policières.

Sur le plan organisationnel, mes propres recherches ont révélé un manque évident de ressources pour les organismes communautaires œuvrant auprès de ces populations. S’ajoute aussi une invisibilité continue des réalités non blanches au sein du mouvement LGBTQ+.

À la lumière de ces enjeux, il n’est donc pas surprenant que des voix s’élèvent pour revendiquer plus de droits, mais surtout plus de place au sein des instances décisionnelles et organisationnelles, notamment au sein des comités organisateurs des marches de la fierté. Il ne s’agit donc pas de « groupuscules radicaux », comme le prétend Mario Girard, mais bien de groupes de défense de droits.

Sentiment d’exclusion

Enfin, Mario Girard conclut sa chronique en appelant au soutien à la lutte dans laquelle s’inscrivent les célébrations de la fierté. Si cette lutte semble aujourd’hui diluée dans une hypercommercialisation de la fierté, comme le soulignait la juriste Florence Ashley, on ne peut passer sous silence le sentiment d’exclusion que vivent certaines franges de la communauté LGBTQ+.

Considérant le profilage racial auquel font face les personnes racisées, devons-nous nous étonner que la présence policière aux célébrations de la fierté puisse créer un sentiment d’insécurité ? Après des années d’exclusion et du manque de prise en compte des revendications des personnes racisées, devons-nous nous étonner qu’un groupe comme Black Lives Matter puisse interrompre la marche de la fierté afin de pouvoir enfin prendre la parole ?

Plutôt que de faire reposer le blâme sur les communautés les plus marginalisées qui doivent encore se battre pour occuper la place qui leur revient, j’inviterais Mario Girard à parler de la distribution inégale des ressources au sein de la communauté LGBTQ+, du racisme systémique et de la transphobie au sein de celle-ci, ainsi que de la néolibéralisation des célébrations de la fierté qui contribue à leur malheureuse dépolitisation.

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