Alors qu’on s’apprête à souligner partout dans le monde le 50e anniversaire des émeutes de Stonewall, ce bar new-yorkais devenu un symbole de la lutte de la communauté LGBT, un constat s’impose : il devient de plus en plus difficile pour les leaders de tenir des événements ou des manifestations pour y exprimer des revendications.

Je ne vous parle pas des défilés que les forces de l’ordre de certains pays sabotent, comme ce fut le cas, en mai dernier, à Cuba. Je vous parle d’événements qui sont annulés par les organisateurs eux-mêmes parce que des groupes minoritaires radicaux faisant partie des manifestants viennent compliquer les choses.

À Lyon, le défilé qui devait avoir lieu le 15 juin dernier a été annulé. Au départ, les participants et les spectateurs ont cru que c’était en raison du mauvais temps. Mais le lendemain, les organisateurs publiaient ceci sur leur page Facebook : 

« Pour couper court à toutes les rumeurs : nous avons annulé la marche à cause d’un groupuscule queer radical qui nous a empêchés d’avancer et de manifester. Nous n’avons pas compris leurs revendications mis à part une volonté de nuire à la marche, à la communauté LGBT et aux associations. […] Les organisatrices et organisateurs ne voulaient plus être pris en otage par ce comportement que l’on peut qualifier de fasciste. Nous vous présentons nos excuses mais nous ne sommes pas responsables des comportements haineux d’une minorité autoritaire qui voulait délibérément nous empêcher de manifester. »

Le groupe en question exigeait de prendre la tête du défilé. Les organisateurs ont demandé à plusieurs reprises à ces manifestants de marcher, comme tout le monde, derrière la bannière qui ouvrait la marche. Ceux-ci auraient refusé d’obtempérer. Joint par le magazine Têtu, un porte-parole de la Gay Pride de Lyon a dit : « Ils voulaient prendre la tête du cortège en nous traitant de fachos. »

Cette annulation est d’autant plus malheureuse que le défilé de Lyon a vu à plusieurs reprises au cours des dernières années des groupes d’extrême droite se mettre en travers de son chemin.

Au Canada, des organismes chargés d’organiser des événements pour la communauté LGBT font face à des demandes diverses de groupuscules radicaux. À Edmonton, le défilé qui devait avoir lieu le 8 juin dernier n’a pas eu lieu. Les organismes Shades of Colour et RaricaNow, qui défendent les droits des personnes de couleur et des réfugiés dans la communauté LGBT d’Edmonton, ont présenté une liste de sept demandes aux organisateurs visant à obtenir une plus grande place au sein de l’organisation.

Ne pouvant satisfaire ces exigences, les organisateurs ont décidé de ne pas tenir l’événement pourtant très populaire auprès des citoyens. En 2018, des représentants de ces groupes avaient demandé aux organisateurs du défilé d’Edmonton de ne pas y inviter les forces de l’ordre.

En 2016, à Toronto, le groupe Black Lives Matter a stoppé le défilé pendant une trentaine de minutes, obligeant les organisateurs à signer une série de revendications, dont celle d’exclure la présence policière. Alors que l’on croyait pouvoir réintégrer les policiers dans le défilé qui a lieu aujourd’hui même, un vote serré de 163 contre 161 tenu en janvier dernier en a décidé autrement. Exit les policiers !

À Calgary, en 2017, une discussion « forte en émotions » a eu lieu entre les organisateurs du défilé et la police locale. On a demandé aux policiers qui désiraient défiler de ne pas porter leur uniforme.

À Montréal, Éric Pineault, président de Fierté Montréal, m’a dit ne pas connaître ce problème. D’une part, les policiers de Montréal ou d’ailleurs au Québec ne participent pas au défilé en tant que manifestants, se contentant d’assurer la sécurité de l’événement de façon très cool.

« On écoute les revendications de chacun. C’est sûr que Fierté Montréal est devenu un gros festival avec la présence de commanditaires et que ça ne plaît pas à tous les groupes communautaires. Mais pour le reste, ça se passe bien », m’a confié Éric Pineault, responsable du défilé montréalais qui célèbre cette année son 40e anniversaire.

La discorde que suscite la question de la présence policière au sein des défilés gais m’interpelle au plus haut point. N’y a-t-il pas là un éloignement du sens profond de ces manifestations qui englobe en premier lieu le principe de l’inclusion ? Serions-nous en train de perdre une perspective historique importante ?

Il y a 50 ans, les défilés de la fierté sont nés afin de combattre les préjugés et la répression policière. Des décennies plus tard, des groupes homosexuels formés de policiers demandent de marcher avec les autres membres de la communauté LGBT afin de créer un réel rapprochement et on leur dit qu’ils n’ont rien à faire là.

Excusez-moi, mais je vois là une confusion des genres, un melting-pot de revendications et une guerre d’ego qui nuisent considérablement à la cause de la communauté LGBT.

Dans la série Tales of the City que Netflix présente depuis quelques jours, il y a une scène formidable où des personnages gais appartenant à la « vieille génération » rappellent à quelques jeunes la lutte qu’ils ont menée à bout de bras et qui fait qu’ils peuvent aujourd’hui choisir en toute quiétude et en toute liberté l’une des nombreuses lettres du sigle LGBTQIA2+.

Il est beau de voir lors des défilés de la Fierté autant de gens et de générations provenant d’horizons différents réunis le long des rues. Chacun a le droit de mener la lutte à sa façon. Mais, de grâce, soutenons cette lutte, ne la noyons pas.