Il y a maintenant 20 ans, j’ai lancé l’agence Phil destinée exclusivement aux organismes à but non lucratif (OBNL). Déjà ! Vingt années à me dédier à de très nombreuses causes et à tenter de faire — à ma façon — une différence dans ce qui est aujourd’hui devenu une grande industrie.

À l’époque, je me souviens qu’il fallait user de beaucoup de résilience, car on ne cessait de me répéter que « tu ne peux pas gagner ta vie à desservir le secteur philanthropique ». Aujourd’hui, les voix se sont multipliées pour reconnaître l’importance du secteur philanthropique, tant sur le plan local qu’à l’international, mais force est de constater que, malheureusement, le système en entier est brisé. 

L’information se fait rare 

D’abord, il va sans dire que nous accusons un déficit majeur d’informations entre les donateurs et les récipiendaires de fonds. Il est très complexe de cerner avec efficacité de quels éléments les organismes ont besoin pour réussir, se tailler une place dans l’univers philanthropique et faire une différence. Nous manquons cruellement d’informations à ce sujet et cela n’aide en rien à la transparence que nous exigeons d’eux, en retour, notamment sur les ressources nécessaires à leur fonctionnement ainsi qu’un cadre clair de gestion de ces organismes. À ce sujet, nous avons besoin de statistiques précises qui seront grandement utiles afin de cerner efficacement les besoins et balises de ces OBNL. 

Philanthropie : une petite industrie ? 

Selon un récent sondage mené par la firme Léger, cinq Québécois sur 10 font des dons. En combinant les dons déclarés et non déclarés en 2018, la moyenne de don au Québec s’élevait à 224 $ par année.

Une étude a titré, il y a quelques semaines, que le secteur philanthropique représentait une industrie soulevant des revenus plus imposants que le secteur pétrolier et gazier canadien.

Et pourtant, on ne semble pas se préoccuper d’encadrer les pratiques liées au secteur de la philanthropie, préférant traîner les vieux mythes d’un secteur qui est géré par des bénévoles. Il est grandement temps que l’on se questionne à savoir s’il ne serait pas tout à fait juste de mettre sur pied un ministère québécois de la philanthropie et d’en encadrer les pratiques.

D’autre part, il est primordial que le gouvernement québécois se dote d’un plan afin de reconnaître officiellement les organismes à but non lucratif et d’établir des incitatifs pour le public à donner davantage. Ainsi, la responsabilité sociale devrait être partagée entre les individus, les entreprises, les OBNL et les ordres gouvernementaux. 

La philanthropie comme culture d’entreprise ? 

J’ai passé les 20 dernières années de ma carrière à marteler l’importance pour les organisations de se doter d’une culture philanthropique forte. Pourtant, de très grandes entreprises font encore piètre figure à ce sujet et tardent à jeter les balises claires d’une culture philanthropique qui serait profitable pour l’ensemble des parties prenantes à leur organisation.

Je ne parle pas ici de motiver un paternalisme corporatif contrôlé par les grandes organisations, mais plutôt de développer une planification claire, chiffrée et visionnaire de ce que représente — pour eux — une culture philanthropique forte. Nous en sommes, actuellement, loin de là. Trop souvent, l’investissement social n’est pas au cœur de la stratégie d’entreprise. 

Quantifier le bonheur 

J’ai souvent été ébranlée de constater à quel point de nombreux organismes à but non lucratif voient leurs demandes de financement être refusées et perdent de nombreuses opportunités, car il est impossible pour les bailleurs de fonds de « quantifier » et mesurer l’impact du travail effectué au sein de cet organisme. Et les exemples pleuvent.

Un OBNL œuvrant à créer le bonheur chez les enfants ou à leur permettre de passer du temps de qualité en famille peut potentiellement risquer de voir sa demande de financement être refusée. Pourquoi ? Parce qu’il est impossible de « quantifier le bonheur ». Cette mesure n’entre dans aucune case à cocher. Êtes-vous en mesure de me dire de quelle façon nous pouvons quantifier le bonheur ? Les critères de financement ne correspondent pas à la mission de très nombreux OBNL et cela doit changer. Nous devons impérativement revoir les mesures d’impact. 

La gouvernance : un peu de rigueur ! 

Après deux décennies à conseiller de nombreux organismes à but non lucratif, il va sans dire que la communication avec les conseils d’administration n’a pas toujours été de tout repos. Les responsables ? Très souvent les conseils d’administration eux-mêmes ! Les conseils d’administration ne sont pas assez effectifs ou informés sur les enjeux réels touchant l’organisation et ont souvent tendance à offrir une confiance aveugle à la direction générale mise en place, les structures de gouvernance n’ayant pas été revues depuis de nombreuses années.

Comment soutenir ou former les administrateurs à devenir plus imputables de leurs décisions ? La gouvernance devrait être en harmonie avec la direction générale afin d’accomplir la mission de l’organisation. Cela dit, je côtoie chaque jour des administrateurs absolument compétents et dévoués, loin de moi l’idée de vouloir généraliser. 

Il est primordial de préparer les conseils d’administration pour les décisions, puisqu’ils sont responsables de la vision et ont le devoir de réduire le risque financier au meilleur de leurs compétences.

Ces mêmes C.A. devraient également avoir l’obligation de s’autoévaluer afin de s’assurer que les administrateurs en place soient les mieux placés pour aller recruter le talent nécessaire à la gestion de l’OBNL et, ainsi, assurer la pérennité de l’organisme. Par contre, les guerres d’ego entre les administrateurs et les directeurs généraux sont plus souvent le sujet de l’heure que les enjeux réels touchant la réussite de nombreuses initiatives philanthropiques. Il nous faut prendre un important virage collectif et mettre en œuvre les changements qui permettront de « réparer le système ». 

En collaboration avec Sector3Insights et CanadaDon, nous avons lancé une grande étude qui permettra aux OBNL de comprendre plus précisément les enjeux du secteur philanthropique et de les soutenir dans l’amélioration de leurs processus organisationnels et de financement. Nous travaillons quotidiennement avec bon nombre d’organismes qui, chaque jour, ont à cœur de faire plus et mieux. Bien que le « système » soit à revoir, soyons fiers de ceux et celles qui prennent action.

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