Au cours de la campagne électorale fédérale, plusieurs partis se sont engagés en faveur de la création d’un régime d’assurance médicaments universel. Le discours ambiant peut donner l’impression que les autorités publiques font actuellement preuve de laxisme et que les fabricants pharmaceutiques agissent à leur guise.

Or, les provinces gèrent activement les dépenses de leurs régimes publics d’assurance médicaments, ayant mis en œuvre des processus d’évaluation assortis de critères rigoureux. Elles ont de surcroît déjà consolidé leur pouvoir d’achat au sein de l’Alliance pancanadienne pharmaceutique (APP), organisme mandaté pour négocier les prix des médicaments en leur nom (ainsi que du fédéral). Plus de 300 négociations avaient été complétées en date du 31 août dernier. Ainsi, les provinces sont capables de se coordonner pour traiter un enjeu commun dans leur champ de compétence.

Le pouvoir d’achat des régimes publics étant déjà consolidé, une agence centralisée regroupant l’ensemble du marché, régimes publics et privés, pourrait-elle obtenir des prix encore plus avantageux ? Cela dépend pour qui.

Un fabricant pharmaceutique est une entreprise à but lucratif cherchant à maximiser ses profits. L’un des moyens couramment employés pour y parvenir est la discrimination de prix, c’est-à-dire qu’on offre des prix différents aux différents acheteurs en fonction de leurs caractéristiques, comme leur pouvoir d’achat ou leur rapport de force. Une pratique existant depuis la nuit des temps.

Rapport de force

L’APP en tant qu’acheteur regroupe actuellement tous les régimes publics et possède d’excellents pouvoir d’achat et rapport de force. Pourquoi ? Parce que les fabricants pharmaceutiques estiment le remboursement de leurs médicaments par les régimes publics d’une importance capitale.

Prenons l’exemple d’un fabricant lançant un médicament. Peu d’individus pourront payer la facture totale par leurs propres moyens. Afin d’éliminer cette barrière financière pour le patient, le fabricant voudra donc le faire rembourser par les régimes d’assurance médicaments. Sa priorité sera de le faire rembourser par les régimes publics (comme la RAMQ au Québec). Pourquoi ? Parce qu’une fois le médicament remboursé par les régimes publics, les régimes privés ne pourront souvent faire autrement que de le rembourser aussi.

Dans la situation actuelle, notre fabricant négociera avec les régimes publics – par l’entremise de l’APP – et sera disposé à offrir des rabais pour obtenir le remboursement.

Les régimes privés, eux, ne se verront pas offrir de rabais. Autrement dit, on vend au rabais au public et on se reprend sur le privé. Cela met en lumière un aspect occulté du marché pharmaceutique canadien, à savoir qu’en raison d’une gestion généralement peu interventionniste, les régimes privés et leurs assureurs ont tendance à payer le plein tarif et contribuent indirectement à augmenter le rapport de force des régimes publics qui, eux, gèrent leurs dépenses de manière plus efficiente.

Supposons maintenant qu’avec une nouvelle agence pancanadienne centralisée, notre fabricant pharmaceutique ne puisse plus faire de discrimination de prix et doive concéder le même rabais à l’ensemble du marché. Il serait étonnant qu’il soit disposé à offrir le même niveau de rabais pour tous que s’il n’avait à l’offrir qu’aux régimes publics.

Pour les régimes publics, la perspective d’une baisse de leurs rabais n’est pas des plus emballantes. Non plus du point de vue des contribuables, qui ultimement les financent. À l’inverse, pour les régimes privés, les employeurs et employés qui les paient, le nouveau système pourrait entraîner des réductions de prix auparavant hors de portée.

Ainsi, l’impact des changements proposés pourrait être différent selon le type de régime d’assurance médicaments, public ou privé. En attendant, puisque les promesses électorales ne se réalisent pas toujours comme prévu, les régimes privés auraient tout intérêt à adopter une gestion plus active de leurs dépenses.

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