Dorian n’est plus en tête d’affiche. Cet ouragan a été l’objet de toutes les hyperboles en s’approchant des côtes, mais depuis qu’il s’est éloigné, les affligés sont délaissés par les médias. Cela ne veut pas dire qu’on ne s’occupe pas d’eux : de grandes âmes, des organismes humanitaires et divers gouvernements ont mis la main à la pâte. Dans l’esprit des auditeurs, on s’occupe des victimes de Dorian.

« On » est ici pris avec son ancien usage d’exclure la personne qui utilise le terme. « On » qui distancie de toute implication personnelle. « On » qui réagira à la prochaine crise ou au prochain drame et qui s’attendra à la bienveillance des autres. « On » qui s’offusquera si les médias rapportent des manquements dans les services d’aide aux Bahamas pour susciter l’indignation.

De fait, notre attention aux événements mondiaux et aux drames humains s’amenuise au fil des nouvelles de Facebook, Instagram ou même des téléjournaux. 

Stéphane Laporte a rappelé dans une chronique récente sa grande écoute captive d’enfant des reportages de Pierre Nadeau et comment l’attention à la qualité de l’information et le temps qu’il y consacrait ont forgé son enfance.

Nous sommes à des lieues de cette société qui prenait le temps, qui s’est conscientisée, qui a donné de l’argent pour la famine au Biafra, qui a accueilli des boat people fuyant la répression du régime vietnamien. Non pas que notre société soit fermée à l’aide ou moins généreuse, mais elle n’y porte plus l’attention qu’elle y vouait auparavant. Le bénévolat et l’action ont généralement cédé le pas à la primauté de l’individualisme.

L’échelle des valeurs collectives

De la même façon, on oublie aussi rapidement de souligner les œuvres de grands personnages et de s’y étendre. Un petit reportage nous annonce le décès de telle ou telle personnalité, on passe rapidement en revue sa contribution, sans bien en situer l’importance dans l’histoire et la structuration de notre société. Et pourtant, en même temps, les réseaux nous inondent de galas de reconnaissance pour les acteurs, chanteurs et autres membres de la communauté artistique. Non pas que cela ne soit pas mérité, mais permettez-moi de suggérer que nous devrions revoir notre échelle collective des valeurs…

Au début du mois, Joanne Liu a fini son deuxième mandat à la tête de Médecins sans frontières (MSF) international. Cette Canadienne, née au Québec de parents immigrés, est en fait une citoyenne du monde qui a profité de son éducation occidentale pour apprendre à aider comme peu le font. Sa présidence de six ans n’a pas été de tout repos ! Épidémies d’Ebola et de rougeole, crises humaines et migratoires causées par des conflits armés, bombardements et attaques sur des sites d’aide humanitaire, et la liste des horreurs est trop longue pour un seul être.

Heureusement, Joanne Liu n’est pas de ces personnes qui utilisent le « on », mais le « je » et le « nous » face à l’adversité.

J’ai le bonheur et le privilège de la connaître et de converser avec elle quand elle n’est pas au bout du monde à combattre la dernière affliction et je suis à même de témoigner de son réel engagement et de sa vision terre à terre de l’action humanitaire.

Elle a été, non seulement pendant sa présidence, mais aussi en plus de 20 ans d’implication au sein de MSF, au front, secouant l’apathie des gouvernements et des populations dans le simple but d’aider, dans le sens le plus noble de l’implication humanitaire, sans gloire personnelle ou gain politique.

Elle avait la charge de convaincre les donateurs, de faire réagir des dirigeants qui n’en avaient pas eu l’initiative, ainsi que de mobiliser et diriger des troupes aux prises avec la misère humaine dans les camps de réfugiés, les dispensaires, sur les bateaux repêchant les migrants. Pas de gala de fin de mandat, mais quelques entrevues pour mettre de l’avant les causes et son organisme. « On » doit beaucoup à la Dre Joanne Liu et à tous ces travailleurs de l’ombre, bénévoles ou pas, qui prennent les choses en mains, qui permettent au monde d’évoluer avec l’objectif de respect des droits et libertés que l’ONU reconnaît depuis 1948.

Le Barnard College, en lui remettant sa médaille du mérite, a dit d’elle : « You are the ultimate global citizen, a rebellious doctor without borders, and an inspiration to us all. » Il serait bien de présenter de tels modèles en période électorale, d’entendre des gens de vision convaincus et convaincants qui ont su laisser leurs ambitions personnelles au profit de causes qui permettent de faire progresser la société et d’assurer un meilleur avenir à un plus grand nombre.

En contrepartie, « on » doit aussi cesser de recevoir avec cynisme leur message, cherchant intempestivement à trouver les imperfections des individus. Personne n’est parfait, « on » devrait ne pas l’oublier, se regarder dans le miroir et s’impliquer autrement que par un like ou dislike furtivement laissé sur un média électronique.

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