Remplie d’espoir que mon enfant, qui présente une déficience intellectuelle, soit intégré en classe ordinaire à l’école de quartier, j’ai pris rendez-vous avec la direction. Motivée.

Pourtant, j’avais entendu dire qu’ici, dans la métropole de la province, au sein de la plus grosse commission scolaire de la ville, l’inclusion est encore un rêve. Un leurre. Allons voir.

L’école compte 500 élèves et plusieurs spécialistes : technicienne en éducation spécialisée, orthophoniste, psychoéducateur, orthopédagogue. Mieux encore, ô surprise et espoir, c’est un « point de service pour les élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage » : l’école compte une classe pour les élèves qui présentent des difficultés graves d’apprentissage (DGA) et deux classes pour les élèves ayant reçu un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme (TSA).

La directrice est orthopédagogue de formation. Elle connaît les enfants « comme ça ». Et elle ne veut pas de Lou.

Elle sourit, elle fait semblant d’être gentille, le verdict est néanmoins catégorique et sans appel. Les besoins particuliers de mon fils sont trop lourds. 

Il présente une déficience intellectuelle, ce n’est pas la bonne étiquette pour être accepté dans un groupe de DGA ou de TSA. Point. Et surtout, surtout, l’argument massue : « Vous savez, Madame, on n’a pas les ressources pour ces enfants-là. »

On ne veut pas entendre le fait que ce petit garçon, malgré sa déficience intellectuelle, a appris l’alphabet en quelques jours à 5 ans comme si c’était facile. On néglige de tenir compte du fait qu’il apprend des mots-étiquettes comme il respire, à un rythme tel qu’on ne fournit plus à lui en montrer de nouveaux.

Discrimination

On décidera d’ignorer le fait que cet enfant est un être charmant et sociable, qu’il sait entrer en interaction de façon saine et affectueuse, fait preuve d’empathie et de solidarité, va spontanément consoler un enfant qui pleure, qu’il est facile à gérer dans un groupe, avide d’apprendre, persévérant. Qu’il sait s’adapter aux nouveaux environnements. Et aux nouvelles personnes. Rapidement. Sans rigidité. Sans se désorganiser.

On choisit de ne pas entendre que les autres enfants gagnent à le fréquenter. 

On se prive volontairement et sans hésiter de la richesse et de l’humanité que cet enfant et ses semblables amènent dans le monde – si on les laisse faire.

C’est illégal. C’est contre la Charte. C’est exclure un enfant sur la base de son handicap. Si je porte plainte à la Commission des droits de la personne pour discrimination illégale, je gagne. Mais ça prendra des années. Pour qu’ensuite je puisse sortir mon enfant de ce qui sera devenu son milieu de vie et d’apprentissage, pour le transplanter en l’imposant dans une école où on ne veut pas de lui. Donc non. Je n’ai pas insisté.

Je ne me suis pas battue pour mon enfant. Je n’ai pas trouvé l’énergie.

De plus, ce que je n’ai pas réalisé sur le coup, c’est qu’en prenant la décision d’exclure mon enfant de son établissement, cette dame le condamne du même coup à rester méconnu et rejeté par les enfants de la ruelle. Le fait qu’il doive fréquenter une école spécialisée à l’autre bout de la ville le sépare physiquement des autres enfants du quartier d’une façon quasi irrémédiable. Il est l’enfant « différent » qui ne va pas à la même école qu’eux. D’ailleurs, va-t-il à l’école ? On me le demande régulièrement dans la ruelle.

Aujourd’hui mon fils adore l’école spécialisée qu’il fréquente, et moi aussi. C’est un environnement adapté, un cocon magnifique. Sauf que voilà : les élèves de cette école restent entre eux. Ils ne fréquentent pas les jeunes de l’école ordinaire. Les enfants « normaux » – neurotypiques, ordinaires, appelez-les comme vous voulez – ne savent même pas qu’ils existent.

C’est de la ségrégation. Pure. Organisée. Consentie. Sans faille. Et on laisse faire.

Dans ma prochaine vie, je le fais, promis. Je me bats pour l’inclusion. Cette fois-ci, je n’y arrive pas. La tâche est trop énorme. J’ai juste envie de pleurer.

D’ailleurs, ce jour-là en revenant de l’école de quartier, en ressortant de l’établissement, en mettant le pied dehors, sachant que le dossier est clos et que je dois m’en retourner chez moi, ma gorge se serre et des larmes se mettent à couler. L’école est à trois coins de rue de la maison. Le trajet est si court. Les autres enfants du quartier, de la ruelle ont accès à ça. Cette proximité.

On aurait conduit Lou à l’école à pied chaque matin. Cinq minutes de marche à peine.

Contre une heure quinze d’autobus. Matin et soir. Pensez-y. Une heure quinze d’autobus matin et soir dès l’âge de 5 ans.

Mes larmes coulent, un cri monte, je le tais.

Mon rêve se brise sur le trottoir.

Personne ne va le ramasser.

Il est toujours là.

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