Notre mode de scrutin a plusieurs défauts, mais il possède une qualité qu’il faut lui reconnaître et qui l’a certainement aidé à traverser le temps : sa forte propension à mettre en place des gouvernements majoritaires stables en mesure de réaliser leur programme politique.

Cet avantage pratique bien réel réussit cependant de moins en moins à faire oublier l’énorme éléphant dans la pièce de la démocratie québécoise et canadienne : nos prétendus « gouvernements majoritaires » ne reçoivent généralement l’appui que d’une minorité de la population (37 % aux dernières élections québécoises et 39 % aux élections fédérales de 2015). 

Nous sommes donc gouvernés par un groupe d’élus qui n’ont jamais obtenu l’appui de la majorité des électeurs, qui a en fait voté contre eux. Ce n’est quand même pas rien !

On répliquera comme toujours que cette entorse au principe d’égalité entre les citoyens est le prix à payer pour la stabilité que procure notre mode de scrutin. Eh bien, c’est trop cher payé et ce n’est pas nécessaire ! Une solution élégante existe depuis fort longtemps : le mode de scrutin préférentiel.

Plus de 50 % des votes

Ce mode de votation accorde à chaque électeur la possibilité d’indiquer sur son bulletin un ordre de préférence pour les candidats de son choix. Est élu celui qui récolte plus de 50 % des votes totaux exprimés (et non plus seulement 30, 35 ou 40 % comme aujourd’hui). Si personne n’obtient ce seuil lors du dépouillement des premiers choix des électeurs, on élimine de la course le candidat ayant obtenu le moins de voix, mais on redistribue le deuxième choix de ses électeurs qui continuent ainsi de participer au processus démocratique. Si, après ce deuxième tour, aucun des candidats n’est élu, on répète l’exercice jusqu’au moment où un candidat obtient une majorité claire.

Ce mode de votation simple, qui entraîne tout de même un dépouillement un peu plus long, est aujourd’hui largement utilisé dans différents types d’élections (notamment pour élire des chefs de partis politiques au Canada et au Québec) et à quelques endroits dans le monde. Appliqué aux élections québécoises, il aurait fort probablement les avantages suivants : 

1) Il ne serait plus nécessaire de modifier la carte électorale comme l’exige le projet de loi déposé par la CAQ récemment. Les circonscriptions demeureraient les mêmes et la représentation effective des régions (que plusieurs considèrent à juste titre comme « exagérée », il faut quand même le rappeler) demeurerait aussi la même.

2) Les électeurs n’auraient plus d’intérêt à voter « stratégiquement » pour le candidat qui a le plus de chances de défaire celui qu’ils préfèrent le moins.

Le vote stratégique est une des conséquences les plus désagréables de notre mode de scrutin. Il favorise le cynisme et encourage la manipulation de l’électorat par les partis en fin de campagne.

Le mode préférentiel, quant à lui, permet de voter « sincèrement » pour les candidats de son choix sans crainte de favoriser l’élection de celui que l’on désire le moins. Plus d’électeurs auront une influence réelle sur le choix du gouvernement et moins d’électeurs auront le sentiment de « perdre » leur vote.

3) Le vote préférentiel ne contribuerait pas à multiplier le nombre de partis représentés à l’Assemblée nationale, une crainte justifiée et à laquelle certains des partisans aveugles du mode de scrutin proportionnel ne sont pas suffisamment sensibles. Il permettrait encore l’élection de gouvernements majoritaires comme aujourd’hui.

4) Finalement, il donnerait la chance à certains tiers partis d’être mieux représentés au Parlement. Bien plus, l’appui à ces tiers partis serait « révélé », alors qu’aujourd’hui, il est « dissimulé » par le vote stratégique. 

Les grands partis auront intérêt à mieux se comporter à leur endroit et à intégrer leurs préoccupations dans leur plateforme pour s’assurer du deuxième choix de leurs partisans. Le vote préférentiel, pour cette raison, favorise les partis politiques inclusifs et défavorise les partis qui dépendent, pour leur succès, de la division du vote.

Voter « sincèrement » pour le candidat de notre choix aux élections et s’attendre à ce que chacun de nos représentants soit élu par une réelle majorité de voix, est-ce trop demander en 2019 ?

Les militants libéraux du Québec ont raison de s’intéresser au mode de scrutin préférentiel, comme il était rapporté récemment dans les médias. Son aile parlementaire, qui aura bien besoin de tous ses militants dans les prochaines années, ne devrait pas leur tourner le dos trop rapidement. Les nouvelles idées à la fois réalistes et prometteuses ne seront jamais de trop quand il s’agira de reconquérir le cœur des Québécois.

* François Blais est chercheur invité à la Chaire Hoover d’éthique économique et sociale de l’UCLouvain, en Belgique.

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