Dans cet ouvrage autobiographique autant qu'historique, l'ancien professeur et recteur Robert Lacroix témoigne de questions primordiales sur la place de l'université dans notre société tout en analysant son fonctionnement et ses liens avec les partenaires externes.

Extrait

Malgré un financement public des universités de l’ordre de 70 %, un besoin important et croissant de formation universitaire pour une insertion harmonieuse et efficace dans l’économie du savoir, et les discours politiques ambiants au moment des élections, le marché politique est peu sensible aux enjeux de l’éducation universitaire.

Il y a d’abord une faible compréhension de ce qui se passe vraiment à l’université, même de la part de la majorité de ceux qui l’ont fréquentée. Pour les individus en général, l’université, qu’ils ont connue lorsqu’ils la fréquentaient ou dont ils entendent parler, est essentiellement un milieu d’enseignement plus avancé que le niveau précédent. Moins de 10 % des étudiants universitaires touchent vraiment à la recherche comme activité de formation et dans la population en général, ce pourcentage diminue à 3 %.

Or c’est le développement phénoménal, depuis les années 1950, du volet recherche de l’université et la croissance tout aussi phénoménale des coûts qui lui sont associés qui ont fait grimper la facture de la formation universitaire.

Et l’intensité de cette activité de recherche, de plus en plus onéreuse en temps de professeur, en équipements sophistiqués, en personnel professionnel et technique, en produits rares et dispendieux et en bâtiments adéquats pour les loger, est essentielle non seulement à l’avancement des connaissances, mais aussi à la qualité des formations données.

Il n’est pas facile d’expliquer ces liens, souvent intangibles, à une population qui constate des besoins criants de dépenses publiques dans des domaines qui les touchent directement et tous les jours.

Par ailleurs, les individus qui passent par l’université y restent en moyenne de trois à cinq ans. Il s’agit donc d’une période très limitée de leur existence même si son effet sur le reste de leur vie est important. Et plus de la moitié de la population n’a jamais utilisé ce service d’éducation. Or, tous les jours, ils vivent ou voient leurs proches vivre les carences de services publics aussi essentiels que ceux de la santé, de l’assistance aux personnes âgées, des garderies, de l’enseignement primaire et secondaire, ou encore d’infrastructures routières délabrées. L’intensité de leurs demandes auprès des politiciens pour une plus grande disponibilité et une plus grande qualité portera bien davantage sur les services qui influencent leur vie de tous les jours, et celle de leurs proches, que pour l’enseignement et la recherche universitaires. Et les politiciens saisissent très bien ces signaux du marché politique. C’est exactement ce que Jean Chrétien m’avait dit lorsque je tentais de le convaincre du grand intérêt de la création des chaires de recherche du Canada pour la qualité de nos institutions universitaires : « Tous ces programmes pour la recherche universitaire ne me rapportent aucun vote ! »

Par contre, toute la question des droits de scolarité passe aussi par le marché politique. Pour s’attirer le vote d’une certaine jeunesse et celui peut-être de leurs parents, les politiciens sont prêts à geler ou même à diminuer une source de revenus importante des universités sans compensation adéquate. La population n’est pas favorable à une augmentation des droits de scolarité parce qu’elle ignore les conséquences de leur gel et que, de toute façon, ces dernières sont à moyen et long terme.

En somme, pour tous ces enjeux de société dont les coûts sont à court terme et les bénéfices, quelquefois incertains ou imprécis, sont à long terme, il faut des hommes et des femmes politiques clairvoyants et au leadership fort pour dépasser les signaux du marché politique ou même l’influencer dans le bon sens.

Et les universités dans tout cela ? Oui, elles doivent, sans se faire d’illusions, tenter d’influencer les politiciens et la population sur les bénéfices énormes que les individus et la société retirent d’un financement adéquat des universités. Mais au-delà de leurs besoins financiers, les universités doivent davantage et constamment informer la population sur la vie universitaire et tout ce qu’en retirent les étudiants, sur leur forte implication dans le milieu social, sur l’incontournable nécessité de la recherche universitaire et les coûts croissants qu’elle entraîne, sur l’obligation qu’elles ont de demeurer concurrentielles dans ce monde de plus en plus mondialisé et sur les conséquences de cette obligation pour les coûts de formation et de recherche. Ce travail d’information doit commencer auprès des étudiants que l’on doit davantage ouvrir à la diversité de la vie universitaire pour qu’ils en comprennent mieux toute l’ampleur et la richesse. Les diplômés doivent aussi demeurer informés de l’évolution de leur alma mater. Les universités francophones ont été passablement négligentes à cet égard, se privant d’alliés naturels dans la défense de l’institution universitaire.

Enfin, compte tenu de l’importance du marché politique et de son peu de sensibilité à l’endroit des enjeux universitaires, un financement plus équilibré des universités ne peut que leur être bénéfique tout en le rendant plus équitable.

Je me suis toujours battu en faveur d’un financement multisource des coûts de fonctionnement des universités. La composition qui semble donner les meilleurs résultats en matière d’incidence sur la qualité et la performance des universités est la suivante : subventions gouvernementales (50 %) ; droits de scolarité (30 %) ; et d’autres revenus, dont la philanthropie (20 %), accompagnée d’un financement majoritairement gouvernemental (70 %) de la recherche universitaire.

Cette composition du financement, tout en étant socialement plus équitable que la gratuité de la formation universitaire, est aussi plus efficace.

L’université dont la moitié des revenus dépend fortement de la qualité relative de ses services et de sa réputation y portera une grande attention. L’étudiant, qui assume une part non négligeable des coûts de sa formation, sera plus judicieux dans le choix de son institution, de son programme d’études et de la durée de celles-ci. Il accentuera encore davantage la pression sur l’université pour qu’elle offre une formation de qualité supérieure. C’est dans un tel contexte que la concurrence interuniversitaire fera son œuvre de les rendre toutes plus performantes. Il ne faut surtout pas croire, comme certains l’affirment, que l’université, contrairement à toute autre organisation humaine, n’a besoin d’aucun incitatif pour être efficace.

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